C'est le plus grand des tableaux "paysans" des frères Le Nain. Il ne s'agit pas ici d'un véritable dîner : la table n'est pas servie, seuls sont évoqués le pain, le vin et le sel.
Une famille de paysans s'est réunie près d'une cheminée. Deux personnages sont assis devant une petite table et dirigent leurs regards vers le spectateur, ainsi que la mère sans doute, assise devant l'âtre et tenant une cruche posée sur ses genoux et un verre de vin rempli aux trois quarts. Tout à droite, une fillette de profil, debout et un petit garçon assis les jambes allongées près d'un petit chat à demi caché par une marmite posée sur le sol. Au centre, un jeune garçon, pieds nus, accompagne d'une flûte le crépitement des bûches de la cheminée devant laquelle trois autres bambins font un peu bande à part. Le peintre transcende une réalité crue - mais nullement cruelle - et lui confère une dignité morale, voire religieuse, dont devaient certainement être friands ses commanditaires. Le coloris assez restreint donne l'occasion au peintre de montrer un grand talent dans la mise en place subtile de la lumière qui vient aussi bien de l'intérieur (le feu) que de l'extérieur (fenêtre à gauche ?). L'ampleur et la présence des figures, le format du tableau, qui égale les peintures d'histoire, la poésie grave et noble que dégage la composition, font de cette peinture l'un des plus grands chefs-d'oeuvre des Le Nain.
Ingénieur des Mines, député, président du conseil général du Cher, Arthur Pernolet, resté veuf et sans enfant, charge ses légataires universels dans son testament, en 1915, de remettre au Louvre une somme de 100 000 francs, et cela "en reconnaissance du bien que m'ont fait les choses d'art". Cette somme fut utilisée dans l'année notamment pour l'acquisition, auprès du célèbre antiquaire Demotte, de La Famille de paysans de Le Nain, tableau réapparu peu de temps auparavant dans une vente et aujourd'hui une des oeuvres emblématiques du XVIIe siècle français. Correspondant à la sensibilité artistique de la seconde moitié du XIXe siècle, l'art des Le Nain est remis à l'honneur à cette époque et fera l'objet de commentaires élogieux de la part d'artistes comme Gustave Courbet. En 1915, le Louvre possède déjà quatre tableaux des frères Le Nain dont le Repas de paysans, daté de 1642, qui fournit de nombreuses analogies avec le présent tableau.