Adam, simple fils de pêcheur, intègre la prestigieuse université Al-Azhar du Caire, épicentre du pouvoir de l'Islam sunnite. Le jour de la rentrée, le Grand Imam à la tête de l'institution meurt soudainement. Adam se retrouve alors au coeur d'une lutte de pouvoir implacable entre les élites religieuse et politique du pays.
TELERAMA
Un étudiant se retrouve précipité dans les guerres de pouvoir d’un haut lieu de l’islam sunnite égyptien. Une métaphore brillante du régime d’al-Sissi.
Trois jours avant le début du tournage de Le Caire confidentiel, en 2015, Tarik Saleh avait dû quitter l’Égypte sur ordre des services de sécurité. Depuis, le cinéaste suédois né de père égyptien est indésirable au pays des pharaons. Et il devrait le rester pour longtemps, au vu de son nouveau long métrage, prix du scénario mérité au dernier Festival de Cannes. La Conspiration du Caire se révèle, en effet, une critique virulente des dérives de pouvoir autoritaire du maréchal Al-Sissi, et plus particulièrement de ses barbouzeries sanglantes.
Après avoir utilisé avec bonheur les codes du film noir dans Le Caire confidentiel, le réalisateur propose ici un genre cinématographique composite, que l’on pourrait qualifier de « thriller d’espionnage religieux ». Adam, fils d’un modeste pêcheur du nord du pays, obtient une bourse pour étudier à l’université cairote al-Azhar, haut lieu de l’islam sunnite dont le grand imam est plus ou moins l’équivalent du pape pour les catholiques. À la mort brutale de ce dernier, les services secrets sont bien décidés à influer sur l’élection en interne de son successeur en poussant un candidat proche de leurs idées… et en déstabilisant ses concurrents les plus dangereux. Un officier expérimenté, Ibrahim, jette son dévolu sur Adam, qui va devenir sa « taupe » au sein d’al-Azhar et l’instrument d’une manipulation politico-religieuse où tous les coups sont permis.
« Tu es un cœur pur, mais qu’al-Azhar va souiller de plus en plus », dit en substance l’assistant d’un enseignant à Adam. De fait, l’étudiant à la gueule d’ange, à qui on donnerait Allah sans confession, se transforme en agent double, voire triple, particulièrement doué, capable, même si c’est la mort dans l’âme, de trahir l’un de ses rares amis, dans un récit riche en rebondissements et en coups tordus que n’auraient pas renié les maîtres espions de John le Carré. L’ascension de ce novice moins naïf que prévu ressemble à celle du héros d’Un prophète, de Jacques Audiard, le trafic de drogue en moins, l’exégèse des paraboles coraniques en plus. Tarik Saleh filme d’ailleurs l’université islamique, reconstituée dans le décor étonnant et puissamment cinégénique de la mosquée Süleymaniye d’Istanbul, comme une prison où tout le monde soupçonne tout le monde. Une métaphore de l’Égypte et de sa société sous surveillance où la Sûreté d’État fait régner la terreur.
Face au jeune Tawfeek Bahrom, peut-être un peu tendre pour le rôle complexe d’Adam, Fares Fares, l’inoubliable interprète de l’inspecteur Nourredine dans Le Caire confidentiel, est méconnaissable, mais une nouvelle fois saisissant, dans la peau de l’officier traitant Ibrahim. Un personnage trouble, dur, cruel, finalement proche de son personnage du précédent film : un exécutant dévoué, vaguement désabusé, mais dont l’humanité pourrait se réveiller face à l’injustice ou l’ignominie de trop…