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lacarriere (1975)    (agrandir)


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Je me disais : moi aussi j'aurai mon livre des chemins, mon bréviaire des sentes, mon évangile des herbes et des fleurs, bref ma bible des routes et La Divine Comédie me parut bien convenir. J'avais depuis longtemps envie de la relire. Mais très vite, je finis par oublier le livre, ne plus penser à lui ou y penser comme à un compagnon présent mais de moins en moins essentiel. Dans la journée, j'aimais m'étendre au pied d'un arbre (chêne ou non, séculaire ou non) sans penser à rien d'autre qu'à la forme changeante des nuages, aux bruits lointains signalant une ferme, un hameau, un village. Et le soir - même quand l'atmosphère du café où j'avais pu trouver refuge rappelait le Purgatoire ou l'Enfer de Dante - je préférais rester là, avec les clients quand il y en avait ou seul, à lire le journal local, écouter les bruits et les silences d'un café, ce temps insidieux, anonyme des lieux qui soudain sont désertés de leur cris vivants, leur brouhaha, et leur rumeur humaine comme un rivage dont la mer vient de se retirer. Car même en ces endroits souvent sinistres, je me sentais plus réceptif qu'en allant m'isoler dans ma chambre pour lire un livre que je pourrais toujours retrouver à la fin du voyage. Les livres et les routes demeurent mais les rencontres, les paroles, elles, sont éphémères. Et c'est l'éphémère que je venais chercher dans la pérennité géologique des chemins ou la mouvance des visages. Cet éphémère égrené dans le fil des jours et qui se mue ainsi en petites éternités, à chaque instant recommencées.