MR TURNER, Mike Leigh 2014, Timothy Spall, Paul Jesson (bio)@@ ()
Artiste reconnu, membre apprécié quoique irrévérencieux de la Royal Academy of Arts, le peintre J.M.W. Turner peut compter sur le soutien indéfectible de son père qui est aussi son assistant. Il est aussi choyé par sa dévouée gouvernante. Il fréquente l'aristocratie, visite les bordels en quête de tendresse et nourrit son inspiration par ses nombreux voyages. A la mort de son père, profondément affecté, Turner ne veut plus voir personne. Sa vie change cependant quand il rencontre Sophia Booth.
TELERAMA
Autoportrait impressionniste de l’artiste en cochon grognon : Turner (1775-1851), peintre paysager porté peu à peu jusqu’aux limites du figuratif, devient pour Leigh le chroniqueur élégiaque d’un monde perdu. Timothy Spall est génial.
Du peintre anglais William Turner (1775-1851), Timothy Spall fait un presque obèse à la démarche de crapaud, visage grimaçant, grognements porcins à gogo. Comment, de tant de laideur, jaillit une beauté sans pareille… Dans ce récit fragmenté des vingt-cinq dernières années de sa vie, l’art de Turner est d’abord montré comme un métier. Pas sans analogie avec celui de cinéaste : repérages, croquis comme les esquisses d’un story-board, visite au marchand de couleurs comme on va chez le loueur de caméras.
Il est très vraisemblable que Mike Leigh, auteur des féroces Naked (1993) et Another year (2010) partage la misanthropie tranquille de son personnage. Tout au long du film, Turner ne trouve son accomplissement que face aux paysages qui vont l’inspirer — magnifiquement rendus par l’image de Dick Pope, qui a étudié les pigments utilisés par le peintre. Ou au milieu des éléments, le film attestant une légende selon laquelle Turner se serait attaché au mât d’un navire pour être au coeur d’une tempête. La beauté, la vérité du monde résident dans un ciel changeant que le soleil et les nuages recomposent en mille nouveaux contours. Mais certainement pas en l’homme : ni lui-même (« Quand je me regarde dans un miroir, je vois une gargouille »), ni ceux qu’il côtoie, dont la laideur morale accompagne parfois les déconfitures implacables du corps (comme cette servante, et maîtresse occasionnelle, au visage dévoré par le psoriasis). Par petites touches, Mr. Turner installe un sentiment poignant d’élégie. Cerné par la laideur, le peintre s’est entraîné à ne voir que la beauté. Une scène tire les larmes : il chante, d’une voix mal assurée, When I am laid in earth, tirée du Didon et Enée de Purcell. De l’ogre difforme sort la conscience d’un éden perdu. C’est bouleversant.