La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores ...
Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d’aise
À mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi comme un tigre dompté,
D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne
Charles Baudelaire
Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise, Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise Ses petits pieds si fins, si fins
Je regardai, couleur de cire Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire Et sur son sein, - mouche ou rosier
Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles, Un joli rire de cristal
Les petits pieds sous la chemise Se sauvèrent : "Veux-tu en finir !"
La première audace permise, Le rire feignait de punir !
Pauvrets palpitants sous ma lèvre, Je baisai doucement ses yeux :
Elle jeta sa tête mièvre En arrière : "Oh ! c'est encor mieux !...
Monsieur, j'ai deux mots à te dire..." - Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire D'un bon rire qui voulait bien.....
Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près.
Arthur Rimbaud
Quand sans voile elle se dressa devant mes yeux,
sur son corps tout entier, nul défaut, nulle part.
Ses épaules, ses bras, que je vis et touchai !
La forme de ses seins, faite pour les caresses !
Et ce ventre si plat sous cette gorge intacte !
La hanche, douce et pleine, et la cuisse, si jeune!
Des détails ? À quoi bon ? Tout méritait éloge
et tout contre mon corps je serrai son corps nu.
Le reste... Fatigués, nous dormîmes ensemble.
Ah ! donnez-moi souvent un tel après-midi !
Ovide (Les amours)
Le printemps ! Les premiers beaux jours. Les premiers soleils. La sève qui monte, les corps qui se montrent,
les regards qui sourient, s'interrogent, s'appellent. le satin de ma robe qui me frôle, me caresse,
titille mon esprit d'impudiques désirs. Il est là, il m'attend, me rejoint.
il m'embrasse fiévreusement, je m'agrippe à son cou. Ses mains explorent ma peau. Son souffle s'accelere.
Quand au petit matin je te sens érectile,Je pense à ces fruits rouges aux saveurs subtiles,
Aux framboises juteuses, aux fraises purpurines, Aux drupes lisses et sombres recouvertes de pruine
Aux grenades de cinabre, aux muscats diaprés, Aux groseilles carminées, aux pommes ensorcelées…
Alors tout contre toi je viens plus me coller : Ton éveil tendu fais le moi vite goûter !
Les rougeurs de ton sexe sur mes joues sauteront Tant que mes lèvres gourmandes de lui s’amuseront !
Arthémisia
Je veux, pour dès l'instant qu'il me verra, lui plaire Savoir tout le secret des parfums et des fards,
Tout l'art harmonieux du geste involontaire, Et le subtil apprêt des plus tendres regards
Je veux, quand il viendra dans l'allée empourprée, Heureux d'atteindre enfin le but de tous les buts
Qu'il croie, en me voyant, frêle, grave et parée, Voir une reine-enfant avec les attributs.
Je ne bougerais pas, délicate et sereine, Un long temps, pour qu'il rêve et qu'il soit étonné
Et pour que, dès ce jour, à jamais il comprenne Le geste de mon corps immobile et donné
Car, par ma voix où vit toute l'âme indicible, Il saura que je l'aime et qu'il est mon amant.
Jane Catulle-Mendès
Comme ils sont beaux tes pas, toi fille de noble race.
Tes rondeurs sont comme des joyaux modelés par les mains d'un artiste.
Ton nombril forme un cratère arrondi où l'eau-de-vie de vin parfumé ne manque pas,
Ton ventre, un amas de froment au milieu des lys.
Tes deux seins ressemblent à deux faons, jumeaux d'une chevrette.
Ton cou ressemble à une tour d'ivoire. Tes yeux sont comme les piscines de Heshbon,
Ton nez est aussi gracieux qu'une tour du Liban, Ta tête est fière comme le Mont Carmel.
Les boucles de tes cheveux ont des reflets de pourpre.
Que tu es belle et fascinante, ô amour, dans ces délices ! Cette taille te fait ressembler à un palmier
tes seins sont pour moi comme des grappes de raisin.
Et le parfum de ton haleine fleure bon comme celui des pommes, Ton palais comme un vin exquis !
(elle)
Il va tout droit, ce vin, à mon bien-aimé, Il coule sur les lèvres de ceux qui sont assoupis.
Moi, je suis à mon bien-aimé Et son désir se porte sur moi. Viens-t'en mon amour. Sortons à la campagne,
Passons la nuit dans les villages De bonne heure, allons dans les vignobles,
Pour voir si la vigne a des bourgeons, si ses pampres sont en sève,Et si les grenadiers sont en fleur.
Et là je te donnerai mes étreintes.
Les mandragores exhalent leur parfum, A nos portes, il y a toute sorte de fruits exquis,
des nouveaux et aussi des vieux. Mon amour, je les ai réservés pour toi.
Cantique des Cantiques
La Terre est là, accueillante, immobile, Offerte à ses assauts conquérants.
Et sur les rondeurs blondes, dociles, L'Océan ondule de sa présence, puissant.
De toute la force en réserve immense Il glisse sur elle abandonnée.
Et l'écume aux lèvres il laisse dans sa démence L'empreinte humide de son va et vient régulier.
Voulant toujours aller plus loin Sur le chemin de leur union,
Il jette son luisant corps masculin Dans l'élan de sa passion.
Libérant la vie sur le sable Il épouse le corps de la belle
Et tel un amant insatiable Déjà regonfle de désir charnel...
Le fracas sourd de ces chocs érotiques Rend mon âme si légère...
Et je regarde depuis les rochers sympathiques L'océan aimer la terre...
Dans le quartier Hohenzollern Entre la Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un coeur d'hirondelle Sur le canapé du bordel
Je venais m'allonger près d'elle Dans les hoquets du piano, là
Elle était brune et pourtant blanche Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faïence Et travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence Qui n'en est jamais revenu
Est-ce ainsi que les hommes vivent Et leurs baisers, au loin, les suivent
Aragon
Couvertes de joyaux Couchées sur le satin
Dans les harems royaux Nues, embaumant jasmin
Musc et santal mêlés Ondulant parmi l’or
Et les corps emmêlés Elles attendent leur sort
Dans les bains parfumés Tétant le narguilé
Elles aiment à donner Aux femmes d’à côté
Aux castrats presque entiers Leurs beaux corps de poupées
II faut bien s’amuser Quand on est prisonnier
Mais lorsque le maître arrive On oublie les dérives
On se métamorphose En statues d’onyx rose
Sur la moire et l’hermine Dans les vapeurs d’opium
Ces traîtresses coquines Débouchent des magnums
Et leur débauche fume Dans les murs de porphyre
Cependant qu’elles hument L’ambre chaud et la myrrhe
Mandarines pelées Ce sont martyrs et fées
Lisant Sophocle et Pline Sade et Kateb Yacine
Entre deux jouissances Défendues aux esclaves
Dans les joies de l’enfance Les plaisirs de l’entrave
Odalisques qui rient Dans la rose des vents
Bagnardes et houris Au jeu de luth savant
Grelots et fers aux pieds Saouleries des étés
Entre sabre et épée Tel est le mausolée