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kore-eda (Hirokazu) - une affaire de famille 2018
En mai dernier, grâce à ce film tendre et singulier, Hirokazu Kore-eda (un habitué du Festival de Cannes depuis Distance, en 2001) a décroché sa première Palme d’or, amplement méritée, sur un thème qui le taraude depuis longtemps. Avec ce cinéaste discret, orfèvre délicat des rapports humains, on est en effet habitué à se retrouver en famille. Il ne cesse, depuis quelques années, de revenir ciseler les mêmes motifs : la filiation, les liens intimes que les usages et la biologie imposent, et ceux que l’on choisit. De Nobody knows (2004) à Après la tempête (2016), en passant par Still walking (2008), Tel père, tel fils (2013) et Notre petite sœur (2015), son œuvre est un vaste mais minutieux tableau de la cellule familiale. Une fresque de douleurs, d’expédients, d’amertume et d’abandon, mais aussi d’amour, souvent bancal, malaisé, complexe, et parfois vibrant de chaleur, comme dans ce portrait de groupe à la marge, réfugié pour un temps à l’abri dans ce qu’il est coutume d’appeler un angle mort de la société.

La vie déborde de partout dans la baraque encombrée qui abrite la tribu. Ce décor étroit, surchargé de vieux tissus et de machins en plastique, ressemble à une dérisoire caverne aux trésors — le butin de la misère, à peine mieux que le contenu d’un chariot de clochard. Hirokazu Kore-eda lui donne un aspect presque organique, il le construit comme un nid d’oiseau fait de bribes et de brindilles chapardées, à la fois protecteur et fragile, inconfortable et douillet. Les délinquants lumineux qui habitent ce capharnaüm lui ressemblent : des vies émouvantes, cocasses, agglomérées, bricolées, mais étrangement solides.

Il filme les enfants comme personne
Comme toujours, le cinéaste accorde une attention particulière aux personnages (formidablement interprétés). Il se tient à la fois proche de leurs visages, attaché à la vivacité de leur débrouille quotidienne, mais aussi à distance pudique, en particulier lorsqu’ils sortent pour s’exposer au monde du dehors. Et, comme toujours, il filme les enfants comme personne, dans le sérieux d’une maturité trop précoce comme dans la douceur naïve de leurs peaux, de leurs regards neufs. Ceux d’Une affaire de famille, un grand garçon, une petite fille, en rappellent d’autres, les poignants gamins abandonnés de Nobody knows, dont la lente disparition, oubliés de tous, constitue presque le parfait négatif de cette histoire de sauvetage et d’adoption.

On a beaucoup comparé Kore-eda à son compatriote Ozu, pour sa subtilité et son sens aigu des nuances psychologiques. Mais c’est à la dérision humaniste, à la pertinence sociale du grand cinéma italien, de Mario Monicelli à Vittorio De Sica, que l’on pense cette fois, face à cet hommage aux perdants magnifiques. Aux perdants tout court. C’est que, face à la norme, à l’ordre cruel des choses et au droit de la famille, les habitants de cet éden de fortune n’ont pas une chance. Le film se divise en deux parties, deux sensations antagonistes, le chaud et le froid. Recueillir une fillette maltraitée, sans rien demander à personne, c’est bien un enlèvement aux yeux de la société, au Japon comme ailleurs. Et puisqu’on en est à redéfinir les termes du film, une famille est-elle vraiment une famille, juste parce que l’on choisit de la nommer et de la vivre ainsi, ou n’est-elle légitime que lorsqu’elle s’inscrit quelque part, entre registres d’état civil et ADN ? A mesure que Kore-eda détricote les apparences qu’il nous a d’abord fait admettre et aimer, c’est l’aspect le plus douloureux, le plus poignant de son cinéma qui gagne la surface, achevant de faire de cette œuvre bouleversante l’un de ses meilleurs films.