TANDEM, Patrice Lecomte, Gerard Jugnot, Jean Rochefort (comique)@@
Rien moins que vingt-cinq ans que Rivetot s'occupe de l'intendance, celle de Mortez, la star de "la Langue au chat", jeu radiophonique. Cela fait des années que Rivetot les conduit sur la route de ville en ville dans un éternel break Ford, des années que Rivetot porte les valises, installe les micros, les câbles, sélectionne les candidats, chauffe la foule. Et quand Rivetot apprend que "la Langue au chat" va être supprimée, il n'en dit mot à Mortez.
TELERAMA
Michel Mortez, l’animateur d’un célèbre jeu radiophonique, est un quinquagénaire usé. Il parcourt les routes de France en compagnie de son assistant Bernard Rivetot, qui est également son confident. Remarquable.
Depuis vingt-cinq ans, Michel Mortez sillonne la France pour animer un jeu radiophonique : La langue au chat. Bernard Rivetot, son fidèle et unique assistant, retarde sans cesse le moment de lui avouer que l’émission va disparaître…
Jamais Patrice Leconte ne glisse le moindre mépris pour ses héros. Il pose sur eux un regard embué d’amère tendresse, résolument sentimental. La cruauté s’insinue comme par effraction, dans les rides fatiguées de l’amuseur, dans ses efforts pathétiques pour redorer une sordide existence de saltimbanque-VRP. Tandem se nourrit de toute l’ambiguïté, de toute la dérision des grandes comédies italiennes. La vedette et son factotum sont de superbes et poignants histrions, enfermés dans leur solitude commune, tout au long d’une odyssée miteuse et sans Pénélope. Gérard Jugnot joue les satellites dévoués avec talent. Jean Rochefort, sublime, grinçant, humain, apporte une dimension tragique à son personnage.
quel film ! Et quel drôle de film… Depuis 1987, Tandem nous dit, d’une voix timide : « Je suis un gentil ovni du cinéma français, mon papa Patrice Leconte m’a conçu alors qu’il était le roi du box-office, il a eu envie d’un tournage léger, en liberté, et me voilà… Psitt ! Surtout, n’allez pas me voir comme un chef-d’œuvre ! » On en a pourtant bien envie. Car Tandem porte la marque des grands films : quel que soit le moment où on les voit, ils tombent à pic, ils sont toujours en phase avec nous. Et sans doute cela n’a-t-il jamais été plus vrai qu’aujourd’hui pour ce gentil ovni : depuis tout ce temps, c’est d’adversité qu’il nous parle. Le grand sujet de 2020.
Le vie est une autoroute sur laquelle va surgir un panneau Stop ou un grand chien rouge (les fans du film s’en souviennent), en tout cas on n’aura rien vu venir. Grand crash en perspective. Telle est l’histoire des compères Michel Mortez (Jean Rochefort) et Rivetot (Gérard Jugnot), heureux voyageurs qui n’ont jamais cessé de sillonner la France pour enregistrer « La langue au chat », une émission de radio dont la popularité s’est perdue en route : des questions de culture générale, un chrono, une cagnotte, ce vieux jeu doit s’arrêter, a décidé Radio France. Pour épargner à Mortez cette sentence mortelle, car il anime « La langue au chat » comme s’il était Dieu créant le monde du haut de son nuage, Rivetot, le préposé au chrono, va jouer la montre et tout faire pour repousser l’échéance, la vérité, la chute.
Pendant que ses personnages foncent dans le mur, l’un sans s’en rendre compte et l’autre en appuyant discrètement mais urgemment sur les freins, Patrice Leconte nous parle de la tendresse, qui sert d’airbag et fait la beauté de Tandem. Une tendresse rare, très particulière : celle des petits fours, des vins d’honneur, des hôtels deux étoiles, des jeux radiophoniques désuets… La tendresse des petits plats que l’on met dans les grands, des choses imparfaites, des belles intentions et des résultats moyens. Tandem est un grand film sur les ratages qui nous font du bien, qui nous consolent. Quand on court à la catastrophe, se prendre les pieds dans le tapis amortit le choc. Mortez est promis à une fin tragique, Radio France l’envoie à la guillotine : si c’est la seule issue, le mieux qui lui reste à faire, c’est vraiment de rater sa sortie. De ne pas devenir ce grand sacrifié héroïque mais, dans un sauve-qui-peut plus ou moins bancal, de sauver sa tête. C’est tellement mieux de se bricoler un destin à la six-quatre-deux. Survivons modestement ! C’est le message du film. Survivons modestement, mais avec panache !
Un univers très province
Jean Rochefort trouvant là un de ses plus beaux rôles, la question du style est d’emblée réglée : il est omniprésent. Avec des pointes vertigineuses, des scènes extraordinaires, comme celle où Mortez, en pleine conversation téléphonique (les fans savent avec qui), se met à tomber par terre, car il développe une manie des évanouissements, de la manière la plus inexorable et la plus élégante qui soit. Patrice Leconte filme Rochefort un peu comme Rivetot-Gérard Jugnot le regarde, de l’admiration et de l’affection plein les yeux. C’est très beau. Mais pour faire un ovni, il fallait aussi quelques idées bizarres. Leconte n’en manque pas. Dans cet univers très province et très français – le personnage de Mortez semble sorti d’une chanson de Trenet –, il fait tonner des colères comiques avec une vacherie à l’italienne. Et fait enregistrer à Richard Cocciante Il mio rifugio, en expliquant, dans la nouvelle édition DVD de Tandem, qu’il avait trouvé intéressant d’utiliser une chanson d’amour pour ce film sur l’amitié. Idée inattendue, idée géniale.
Dans le même entretien vidéo réalisé pour les bonus de cette version restaurée, le réalisateur parle de sa rêverie sur les vies nomades de deux animateurs célèbres, Lucien Jeunesse du Jeu des mille francs et Jean-Pierre Descombes des Jeux de 20 heures. Imaginer leur quotidien tout au long de leurs tournées sur les routes de France pour leurs émissions : cette envie-là éclaire la nature presque littéraire de Tandem, où passe d’ailleurs un personnage très réussi de femme libraire, joué par Sylvie Granotier. La rêverie, et le film en est vraiment une, nous ramène aussi à l’Italie. C’est presque à la même époque, en 1986, que Federico Fellini, immense rêveur, faisait naître cet inoubliable duo de danseurs de claquettes démodés, Ginger et Fred. Un autre film sur la beauté des ratages, sur la solitude de ceux qui aiment le spectacle et le divertissement, même quand le spectacle ne les aime plus, même quand le divertissement les pousse vers la sortie. Il y a beaucoup de cela dans Tandem. Une mélancolie superbe, une joie malgré tout, un peu gaie et un peu triste, le registre de la délicatesse. Il est temps pour cet ovni de rejoindre le rayon des classiques incontournables.