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strazza (giovanni) - vierge voilee
la "Vierge voilée" de Giovanni Strazza, taillée dans un bloc de marbre, témoigne de la virtuosité du sculpteur par son saisissant effet de transparence. Pourtant, de ce sculpteur lombard formé à Rome par Pietro Terenari, on ne sait pas grand chose... pas plus que sur cette oeuvre aux effets textiles virtuoses. Cette sculpture en marbre "Vierge voilée" du XIXe siècle est impressionnante par son effet de transparence.

Pour lever le voile, nous avons rencontré Claire Barbillon, directrice de l'Ecole du Louvre, spécialisée dans la sculpture du XIXe siècle et auteur de Comment regarder la sculpture (2017).
Je pense que c’est la Vierge Marie, même si on pourrait aussi penser qu’il s’agit d’une vierge, la virginité étant toujours un gage de pureté et de spiritualité. Qu’il s’agisse de la Vierge Marie ou d’une vierge, comme étaient vierges par exemple les vestales, il y a l’idée d’une pureté, d’un rapport au divin qui n’est pas entaché par la sensualité et la sexualité.
La première chose qui frappe quand on regarde ce visage, c’est l'ambiguïté entre un souci de figurer la spiritualité par les yeux fermés, par ce qu’on devine d’émotion contenue, et le contraire qui est cette perturbation par les degrés divers de l’épaisseur du voile, qui crée comme une sorte de vague, de mouvance qui brouille l’image.

Que sait-on sur cette œuvre, et plus largement sur cet art de tailler des voiles dans le marbre ?
C'est une œuvre très caractéristique d’une tradition italienne qui remonte plutôt au XVIIIe siècle, et plus particulièrement à la tradition napolitaine, qui consiste à travailler, tailler de manière virtuose le marbre, et à jouer sur l'ambiguïté entre ce qui est révélé de la figure humaine et ce qui est dissimulé au regard. Si on veut vraiment en faire l’archéologie, c’est la tradition du "drapé mouillé" qu’on trouve déjà dans la sculpture grecque hellénistique. C’est un défi que se jettent les sculpteurs depuis toujours, car c’est une façon de travailler sur la figure humaine, la précision de son rendu anatomique, et sur son dévoilement au regard, qui est un jeu perpétuel de dissimulation et de révélation.

La virtuosité produit toujours son effet, et c’est bien normal. Il y a un travail de taille, et c’est vrai qu’il est effectué avec une virtuosité fascinante. Là aussi il y a un effet de contraste : le marbre est un matériau dur, qui résiste au ciseau, à la taille, et il semble ici d’une souplesse et d’une légèreté qui créent un paradoxe. À mon avis, la raison de la fascination c’est la combinaison de tous ces paradoxes, toutes ces ambiguïtés, entre force et fragilité, pureté et sensualité…
avec ce type d’œuvre, ce qui est intéressant est de comprendre que ce motif de la draperie mouillée et du voile, sur les visages et les corps, est une façon de jouer de l'ambiguïté. En fait il y a un certain érotisme du voile.

En fait, le baroque, à la toute fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, permet aux sculpteurs de rivaliser en virtuosité. Cette tendance s’exerce notamment par ces draperies outrancièrement arrangées qui dissimulent la forme du corps humain. Le fondement du classicisme c’est le corps nu comme microcosme, qui se réfère au macrocosme du monde. Et finalement, la draperie avec toutes ses séductions et subtilités appartient à la tendance baroque, à ce moment-là.

Le drapé est une tradition dans la sculpture, mais il peut être pratiqué de façon très différente sur le plan formel. Il y a d'ailleurs une différence entre le drapé et le voilé.

Au milieu du XIXe siècle, c’est quand même le triomphe de ce genre d’œuvre. Il y a un goût extrêmement fort pour l’érotisme en sculpture. Dans toute l’Europe, il y a un triomphe d’un art virtuose que contre l’émergence du réalisme ; et cette sculpture est faite effectivement pour séduire tout public. Il ne faut pas oublier que c’est l’Italie, et qu’à mon avis, plus encore qu’en France, cette esthétique s’inscrit dans la suite de cette tendance napolitaine dont on parlait avec le Christ de Sanmartino, vers une virtuosité extrême, une prouesse technique.

Strazza est né en 1818, deux ans avant le couperet qui tombe pour que les artistes soient documentés dans l’admirable documentation du musée d’Orsay. C’est donc un artiste qui émarge au Louvre, mais comme le Louvre doit documenter la sculpture depuis le Moyen Âge... Mais c’est un domaine dans lequel on peut continuer à donner des thèses de doctorat, un domaine vivant à l’Université, comme dans les musées, donc rien n’est perdu !