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MADEMOISELLE DE JONQUIERES, Emmanuel Mouret 2018, Cécile de France, Edouard Baer (sentimental)@

Loin de la cour, une séduisante jeune veuve, Madame de La Pommeraye, succombe aux assauts de charme et d'esprit du libertin marquis des Arcis. Contre tous les pronostics mondains, ils tombent durablement amoureux. Avec les années, la passion s'étiole et le marquis reprend sa liberté avec, croit-il, le consentement libre et éclairé de sa compagne. En vérité, dévastée, celle-ci fomente une cruelle vengeance.

TELERAMA
Une inclinaison d’ombrelle vaut-elle consentement ? Comment réagir devant un harceleur en bas blancs ? Faut-il vraiment se poser toutes ces questions en regardant le dernier film d’Emmanuel Mouret, comédie douce-amère sur le marivaudage ? Bienvenue dans la zone grise de la critique de cinéma.
Par Mathilde Blottière

Ala projection, l’attachée de presse nous l’avait vendu poing levé et clin d’œil à l’appui : « Tu vas voir, c’est un film #MeToo ! » Un film en costumes capable de transcender les époques pour résonner avec le phénomène culturel de l’ère post-Weinstein ? Voilà qui donne envie…

Premier obstacle pour déterminer si oui ou non Mademoiselle de Joncquières est #MeToo compatible : le marivaudage est le royaume de la « zone grise » et le terrain de prédilection de l’ambiguïté. Adeptes de l’analyse binaire, s’abstenir. Comment dénicher le consentement sous les poudres et les fards, dans les replis élégants des circonlocutions du langage de l’époque ? Pfff, y a du taff.

Et puis, franchement, on serait pas un peu ridicule là, à traquer le harceleur en bas blancs, à renifler le porc potentiel à perruque ? On se retrouve à l’affût du plan sexiste qui aurait échappé au monteur, on se promet de débusquer la réplique facile, celle qui transpire le vieux patriarcat. Et le male gaze – le fameux « regard masculin » –, ne pas oublier le male gaze ! On commence à se demander s’il ne faudrait pas revoir le film… Au cas où des piques contre les féministes nous auraient échappé.

“C’est encore et toujours par la volonté d’un homme qu’une jeune femme est sortie du ruisseau”
D’accord, on force le trait. Mais pour de vrai, on s’en veut soudain de jouer les policières de la pensée, comme si la révolution #MeToo avait fait de nous aussi une précieuse ridicule du « politiquement correct ». La création n’est-elle pas au-dessus de tout cela ? Ne s’agit-il pas ici de sentiments universels ? Bref, ne serions-nous pas en train de porter un regard étriqué sur une œuvre qui va bien au-delà des questions de genre ?

Au fil des démêlés amoureux des personnages et des subtilités de la langue, on change quinze fois d’avis, estimant à deux scènes d’écart que Mouret signe là le portrait d’une guerrière féministe éminemment moderne puis qu’il en fait un monstre de sang froid prêt à tout pour sa vengeance. Si la vérité est sans doute quelque part entre les deux, il n’empêche. La fin du film – attention SPOILER – nous pose quand même un sacré problème.

Car comme dans Les Liaisons dangereuses, c’est encore le personnage masculin qui s’en sort à la fin. On aurait vraiment préféré que la jolie Mlle de Joncquières, instrumentalisée par une noble dame au cœur en sang, ne trouve pas son salut social grâce à la clairvoyante bonté du marquis. C’est encore et toujours par la volonté d’un homme qu’une jeune femme est sortie du ruisseau.

Quant à la femme vengeresse, Mouret la montre surtout comme une victime de l’amour, ce délicieux fléau qui affecte sans distinction hommes et femmes, même si apparemment les mecs s’en dépatouillent bien mieux. Femme malheureuse ou féministe, Mme de la Pommeraye ? Dans le dossier de presse, Emmanuel Mouret choisit son camp : « Au fond, le féministe, c’est Diderot. Il a écrit La Religieuse ! Il est capable de penser l’oppression, de défendre la liberté de chacun et de chacune, dans le respect mutuel. » Diderot, tiens, encore un homme.

On va nous dire qu’on ne va pas au cinéma pour voir ses convictions validées. Qu’un réalisateur n’est pas un idéologue, ni un militant. Que le film moraliste de Mouret est avant tout un portrait contrasté de l’amour et de ses folies. Peut-être… En attendant, à la fin, Mme de la Pommeraye, alias Cécile de France, restera seule avec son cœur rance, étouffée par la solitude et les regrets, tandis que le marquis des Arcis, aussi flapi soit-il, en sort tout auréolé de grandeur et le cœur plein d’un nouvel amour. A la fin donc, comme dans la vie, la femme amoureuse verra son mec partir avec une fille de vingt ans de moins qu’elle, tellement plus noble, tellement plus belle, tellement plus... jeune.