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LEMMING, Dominik Moll 2005, Laurent Lucas, Charlotte Gainsbourg, Charlotte Rampling (drame sentimental)@@

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Bénédicte et Alain Getty, jeune et brillant ingénieur en domotique, récemment installés dans une nouvelle ville, reçoivent à dîner le patron d'Alain, Richard Pollock, et son épouse Alice. Cette rencontre ne sera pas sans conséquences sur l'harmonie du jeune couple.La découverte du cadavre d'un mystérieux rongeur dans l'évacuation bouchée de leur évier n'arrange pas les choses et annonce l'irruption de l'irrationnel dans ce qui était jusqu'alors une vie bien rangée.

TELERAMA
Que se passe-t-il sous la surface des choses, derrière les murs crépis d'une pimpante banlieue pavillonnaire, au-delà d'un apparent bonheur sans nuages ? Et s'il suffisait d'un rien pour rompre à jamais l'équilibre ? Dans le troisième film de Dominik Moll, « l'incident déclencheur » est un rongeur scandinave. Une bestiole à poils soyeux et à dents tranchantes, un lemming, dont le petit corps obstrue la bonde d'un évier. Cette eau stagnante prend illico valeur de métaphore. Chez le jeune couple qui trouve l'animal dans sa cuisine, elle est ce qui d'habitude s'évacue sans heurt, et qui, ici, ne passe pas : s'y formera le limon insondable du non-dit.

Il y a cinq ans, le précédent opus du cinéaste, Harry, un ami qui vous veut du bien, jouait déjà du double fond : sous la comédie policière perçait une réflexion assez amère sur l'obsession de l'accomplissement personnel. Lemming reprend cette structure duelle, l'étoffe, la prolonge. Il y a d'un côté la mécanique narrative, qui conduit le film aux confins du fantastique. Et de l'autre le thème qu'elle illustre, clairement identifié : l'impossible fusion amoureuse, l'impasse du couple. Mais si le film est moins abouti, moins plaisant que ne l'était Harry, c'est parce que ces deux logiques, celle du film de genre et celle de l'introspection psychologique (Antonioni n'est pas si loin), se développent souvent séparément, sans s'enrichir mutuellement.

Ça commence pourtant comme du bon Chabrol. Alain vient d'emménager avec Bénédicte dans le sud de la France, près de l'entreprise qui l'emploie et pour laquelle on l'a vu inventer une excentrique caméra volante. Le soir où le couple modèle reçoit à dîner Richard et Alice, les patrons d'Alain, le ver pénètre le fruit. Le repas est une jolie scène, entre satire sociale et absurde ordinaire. Plaisirs d'acteurs, d'abord : Laurent Lucas, impeccable en cadre à qui tout (pour l'instant) réussit ; Charlotte Gainsbourg, délicieuse en compagne (jusque-là) innocente. Face à eux, des monstres sacrés : André Dussollier joue en maître des ridicules de son personnage ; et Charlotte Rampling, visage fermé, lunettes noires, excelle à troubler le jeu social. C'est par elle que le vaudeville bascule vers le cauchemar.

Plus il avance, néanmoins, plus le film semble tiré à hue et à dia. Son vrai sujet, on l'a dit, c'est l'intimité, l'abandon amoureux. Et pourtant Dominik Moll ne cesse de placer ses pions hitchcockiens, de veiller à ce que son récit avance à coups de rebondissements et de machinations surprises. Or, on a compris depuis longtemps que l'histoire est prétexte à autre chose, que l'on attend désormais en priorité. Par intermittence, les deux ambitions se rejoignent et le film retrouve sa plénitude.

Un exemple. Alain (Laurent Lucas), de retour chez lui, est aux prises avec la prolifération des lemmings. Cauchemar ? Réalité ? Peu importe. Ce qui compte, c'est le plan où l'on croise son regard éperdu. L'effroi se transmet enfin et révèle la solitude de l'âme humaine. Plus tard, Alain et Bénédicte sont au bord d'un lac de montagne. C'est une séquence d'intimité amoureuse, et aussi un piège dans lequel Alain tombe. Le cadrage est simple, mais évocateur : l'un est de profil, l'autre de face. Deux amants ensemble, mais pas tout à fait ? Ce qui passe alors sur le visage de Charlotte Gainsbourg fait basculer la séquence dans l'onirisme. Et suggère l'horreur de l'incommunicabilité, la découverte glaçante de l'altérité au coeur même du familier.

Lemming doit beaucoup à la comédienne. C'est elle qui permet au récit de s'ancrer dans une forme de réalité. Tour à tour effacée et effrontée, enfantine et mûre, triviale et sublimée, elle est la très étonnante femme fatale de ce faux film noir. On pourra trouver inaboutie cette tentative de réconcilier deux formes de cinéma, de raconter les épreuves symboliques traversées par un jeune couple à la façon d'un film d'horreur. Mais l'ambition est évidemment louable, à partir d'un pur « trip » de cinéma, de donner à voir des personnages qui sont nos doubles, nos alter ego fantomatiques.