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LE REGNE ANIMAL, Thomas Cailley 2023, Paul Kircher, Romain Duris, Adèle Exarchopoulos (science fiction)@@

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Un père et son fils se battent pour survivre dans un monde où de plus en plus de personnes se transforment en animaux. Les autorités obligent les mutants à quitter leur foyer et leur famille et ils sont internés dans des cliniques spéciales. François fait tout pour sauver sa femme touchée par ce mystérieux phénomène.

TELARAMA
Un père et son fils affrontent une étrange épidémie qui transforme les hommes en animaux. Un film fascinant qui interroge notre rapport à l’autorité et à la liberté.

Des griffes poussent sous les ongles, une fourrure ou des écailles colonisent la peau. Des tentacules, des mandibules, des membranes. La fonction du langage se dérobe lentement, au profit des râles bruts de la nature, cris, grognements, stridulations… Les symptômes varient, mais le phénomène est identique, inexorable, étrange épidémie dont on ne connaît ni l’origine ni le remède. Partout, dans notre monde familier, avec ses agglomérations ordinaires, ses embouteillages et ses supermarchés, des êtres humains se transforment, peu à peu possédés par la bête qui s’éveille en eux, remodèle leur chair et leur esprit.

Femme-fauve, morse difforme, poulpe en devenir… Tel est le spectaculaire Règne animal dans lequel nous plonge le cinéaste Thomas Cailley, au sein d’une société qui ne sait que faire de ce surgissement, face à un nouveau peuple instable, effrayant et poignant. Mutant, comme le film lui-même, prouesse à la croisée des genres, de l’anticipation la plus sombre (avec un brin d’épouvante) au conte lumineux, du réalisme abrupt à la pure poésie. Avec, en son centre, un cœur sensible, heurté et fébrile : l’histoire d’amour inconditionnelle qui unit un père, François, à Émile, son fils adolescent.

Ces deux-là sont seuls au monde. Lana, épouse de l’un et mère de l’autre, n’est plus tout à fait Lana. Telle qu’elle est devenue, personne ne peut la soigner. Les autorités sanitaires se contentent d’organiser son transfert dans un centre pour les « créatures » comme elle, quelque part dans les Landes. François et Émile déménagent à sa suite. Nouveau travail de cuisinier dans un camping des environs, nouveau lycée, tout est prévu… Sauf que Lana n’arrive jamais à destination. Le convoi qui la transportait, avec d’autres compagnons d’infortune, a eu un accident. Les « bêtes humaines » ont disparu dans les bois…

En cherchant Lana, jusqu’au fond d’un paysage énigmatique et dense, rendu à sa dimension sauvage, comme les êtres qui s’y cachent, père et fils vont se trouver eux-mêmes. Un chemin d’urgence et d’évolution intime, qui rappelle irrésistiblement Adèle Haenel et Kévin Azaïs, le couple improbable et touchant perdu dans la forêt des Combattants, le précédent long métrage de Thomas Cailley, il y a presque dix ans. Où la puissance d’un lien affectif se cogne à celle de la nature, et de ses exigences.

Faire le deuil de ce qui fut, accepter la séparation, la mort réelle ou symbolique qui s’attache à tout changement étaient aussi les sujets de la série d’anticipation Ad vitam, cocréée par le cinéaste et Sébastien Mounier en 2018. Ici, c’est le jeune Émile qui est, à son tour, touché par les premiers signes d’une irréversible mutation. Fable sur la puberté, sur la transformation du corps adolescent, entre dégoût et désir, terreur et exaltation, le film creuse autant la question de l’animalité camouflée sous les habits de la civilisation que la nécessité pour un parent de laisser grandir et partir son enfant.

Cet enjeu central est porté avec une délicatesse fiévreuse, un charisme magnétique par un Romain Duris brûlé, tendu, vrai, déchirant de dévouement opiniâtre, et le jeune comédien Paul Kircher, révélé par Le Lycéen (de Christophe Honoré) : avec son phrasé particulier, sa grâce hésitante et bourrue de garçon perdu, il incarne tous les tourments et les élans de son âge. Entre les deux acteurs, l’alchimie est parfaite, culminant dans une bouleversante séquence nocturne en voiture, exaltée par un vieux tube de Pierre Bachelet au titre parfaitement raccord avec l’étrange bestiaire du film : Elle est d’ailleurs.

Elles sont « d’ailleurs », ces créatures inédites, dont les apparitions sont d’abord aussi frappantes que furtives. Thomas Cailley les filme à la dérobée, comme du coin de l’œil, à demi cachées, entraperçues dans le feu bref d’un éclair d’orage, ou drapées dans l’obscur tissu de la nuit. Effet de mystère extraordinaire, qui nous mène insensiblement des figures de film d’horreur à la vérité émouvante de ces corps d’un nouveau genre, pionniers d’un singulier retour à la nature, tels cet enfant-caméléon fragile et mutique ou cet inoubliable homme-oiseau (impressionnant Tom Mercier, l’acteur de Synonymes, de Nadav Lapid), qu’Émile apprend à connaître et à aimer, au fond la forêt. Créatures, « bestioles », comme disent tous ceux qui ne veulent pas de « ça » chez eux. Des monstres ? Non, des « victimes », corrige Adèle Exarchopoulos, dans le rôle d’une jeune femme gendarme qui vient en aide aux deux héros.

Sans rien asséner ni caricaturer, Le Règne animal est aussi un vaste conte politique, une réflexion ouverte sur notre époque troublée, qui évoque, indirectement, aussi bien la gestion du Covid que la question des migrants. Le racisme, la peur et le rejet de l’autre en général. Les nombreux changements qui poussent une société à restreindre les libertés publiques. « Désobéir, c’est ça le courage aujourd’hui », s’exclame François au début du récit. Il s’agit en effet, précisément, de répondre à toutes les mutations par la tolérance et la solidarité, envers et contre les dérives autoritaires. De rester libre, insaisissable et hybride, comme ce film exceptionnel. Pour nous, c’est sûr, il est d’ailleurs.