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P1000093 paris - champs elysees
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En quelque endroit que j'aille,
il faut fendre la presse
D'un peuple d'importuns
qui fourmillent sans cesse.
L'un me heurte d'un Aïh
dont je suis tout froissé ;
Je vois d'un autre coup
mon chapeau renversé.
...

Boileau - les embarras de Paris










Les embarras de Paris

Qui frappe l'air, bon Dieu !
de ces lugubres cris ?
Est-ce donc pour veiller
qu'on se couche à Paris ?
Et quel fâcheux démon,
durant les nuits entières,
Rassemble ici les chats
de toutes les gouttières ?
J'ai beau sauter du lit,
plein de trouble et d'effroi,
Je pense qu'avec eux
tout l'enfer est chez moi :
L'un miaule en grondant
comme un tigre en furie ;
L'autre roule sa voix
comme un enfant qui crie.
Ce n'est pas tout encor :
les souris et les rats
Semblent, pour m'éveiller,
s'entendre avec les chats,
Plus importuns pour moi,
durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour,
ne fut l'abbé de Pure.

Tout conspire à la fois
à troubler mon repos,
Et je me plains ici
du moindre de mes maux :
Car à peine les coqs,
commençant leur ramage,
Auront des cris aigus
frappé le voisinage
Qu'un affreux serrurier,
laborieux Vulcain,
Qu'éveillera bientôt
l'ardente soif du gain,
Avec un fer maudit,
qu'à grand bruit il apprête,
De cent coups de marteau
me va fendre la tête.
J'entends déjà partout
les charrettes courir,
Les maçons travailler,
les boutiques s'ouvrir :
Tandis que dans les airs
mille cloches émues
D'un funèbre concert
font retentir les nues ;
Et, se mêlant au bruit
de la grêle et des vents,
Pour honorer les morts
font mourir les vivants.

Encor je bénirais
la bonté souveraine,
Si le ciel à ces maux
avait borné ma peine ;
Mais si, seul en mon lit,
je peste avec raison,
C'est encor pis vingt fois
en quittant la maison ;
En quelque endroit que j'aille,
il faut fendre la presse
D'un peuple d'importuns
qui fourmillent sans cesse.
L'un me heurte d'un ais
dont je suis tout froissé ;
Je vois d'un autre coup
mon chapeau renversé.
Là, d'un enterrement
la funèbre ordonnance
D'un pas lugubre et lent
vers l'église s'avance ;
Et plus loin des laquais
l'un l'autre s'agaçants,
Font aboyer les chiens
et jurer les passants.
Des paveurs en ce lieu
me bouchent le passage ;
Là, je trouve une croix
de funeste présage,
Et des couvreurs grimpés
au toit d'une maison
En font pleuvoir l'ardoise
et la tuile à foison.
Là, sur une charrette
une poutre branlante
Vient menaçant de loin
la foule qu'elle augmente ;
Six chevaux attelés
à ce fardeau pesant
Ont peine à l'émouvoir
sur le pavé glissant.
D'un carrosse en tournant
il accroche une roue,
Et du choc le renverse
en un grand tas de boue :
Quand un autre à l'instant
s'efforçant de passer,
Dans le même embarras
se vient embarrasser.
Vingt carrosses bientôt
arrivant à la file
Y sont en moins de rien
suivis de plus de mille ;
Et, pour surcroît de maux,
un sort malencontreux
Conduit en cet endroit
un grand troupeau de boeufs ;
Chacun prétend passer ;
l'un mugit, l'autre jure.
Des mulets en sonnant
augmentent le murmure.
Aussitôt cent chevaux
dans la foule appelés
De l'embarras qui croit
ferment les défilés,
Et partout les passants,
enchaînant les brigades,
Au milieu de la paix
font voir les barricades.
On n'entend que des cris
poussés confusément :
Dieu, pour s'y faire ouïr,
tonnerait vainement.
Moi donc, qui dois souvent
en certain lieu me rendre,
Le jour déjà baissant,
et qui suis las d'attendre,
Ne sachant plus tantôt
à quel saint me vouer,
Je me mets au hasard
de me faire rouer.
Je saute vingt ruisseaux,
j'esquive, je me pousse ;
Guénaud sur son cheval
en passant m'éclabousse,
Et, n'osant plus paraître
en l'état où je suis,
Sans songer où je vais,
je me sauve où je puis.

Tandis que dans un coin en grondant je m'essuie,
Souvent, pour m'achever, il survient une pluie :
On dirait que le ciel, qui se fond tout en eau,
Veuille inonder ces lieux d'un déluge nouveau.
Pour traverser la rue, au milieu de l'orage,
Un ais sur deux pavés forme un étroit passage ;
Le plus hardi laquais n'y marche qu'en tremblant :
Il faut pourtant passer sur ce pont chancelant ;
Et les nombreux torrents qui tombent des gouttières,
Grossissant les ruisseaux, en ont fait des rivières.
J'y passe en trébuchant ; mais malgré l'embarras,
La frayeur de la nuit précipite mes pas.

Car, sitôt que du soir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques ;
Que, retiré chez lui, le paisible marchand
Va revoir ses billets et compter son argent ;
Que dans le Marché-Neuf tout est calme et tranquille,
Les voleurs à l'instant s'emparent de la ville.
Le bois le plus funeste et le moins fréquenté
Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue
Engage un peu trop tard au détour d'une rue !
Bientôt quatre bandits lui serrent les côtés :
La bourse ! ... Il faut se rendre ; ou bien non, résistez,
Afin que votre mort, de tragique mémoire,
Des massacres fameux aille grossir l'histoire.
Pour moi, fermant ma porte et cédant au sommeil,
Tous les jours je me couche avecque le soleil ;
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumière,
Qu'il ne m'est plus permis de fermer la paupière.
Des filous effrontés, d'un coup de pistolet,
Ébranlent ma fenêtre et percent mon volet ;
J'entends crier partout: Au meurtre ! On m'assassine !
Ou : Le feu vient de prendre à la maison voisine !
Tremblant et demi-mort, je me lève à ce bruit,
Et souvent sans pourpoint je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la flamme en ondes se déploie,
Fait de notre quartier une seconde Troie,
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
Au travers des charbons va piller le Troyen.
Enfin sous mille crocs la maison abîmée
Entraîne aussi le feu qui se perd en fumée.

Je me retire donc, encor pâle d'effroi ;
Mais le jour est venu quand je rentre chez moi.
Je fais pour reposer un effort inutile :
Ce n'est qu'à prix d'argent qu'on dort en cette ville.
Il faudrait, dans l'enclos d'un vaste logement,
Avoir loin de la rue un autre appartement.

Paris est pour un riche un pays de Cocagne :
Sans sortir de la ville, il trouve la campagne ;
Il peut dans son jardin, tout peuplé d'arbres verts,
Recéler le printemps au milieu des hivers ;
Et, foulant le parfum de ses plantes fleuries,
Aller entretenir ses douces rêveries.

Mais moi, grâce au destin, qui n'ai ni feu ni lieu,
Je me loge où je puis et comme il plaît à Dieu.

Boileau - les embarras de Paris (Satire VI)