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cranach lucas - The Judgment of Paris. 1512-1514. Limewood. 43 x 32.2 cm. Wallraf-Richartz Museum, Cologne, Germany
Dans leurs représentations du "Jugement de Pâris", les Grecs ne jugeaient pas utile de montrer les déesses (Aphrodite, Héra et Athéna) dans leur nudité. C'est que, pour eux, le concours ne portait pas sur la beauté au sens où nous l'entendons, mais sur les attraits des déesses, qui étaient aussi inséparables de leurs attributs (richesse et fécondité, souveraineté, force militaire) que de leurs accessoires (le casque ou le bouclier d'Athéna, la ceinture d'Aphrodite) ou de leurs vêtements.
Mais à l'époque de Cranach, au début du 16ème siècle, il en allait déjà tout à fait autrement. Pas question de juger de leur beauté sans les voir, et de préférence dans le plus simple appareil. Pâris exigeait de contempler le corps divin pour s'en faire une idée. Cranach montre les trois déesses dans leur beauté charnelle. Pâris, qui semble tombé de son cheval, en est tout retourné. Pour comparer, il faut bien qu'il regarde ces corps dans toute leur différence. Ce n'est pas affaire de métaphysique, mais de désir. Malgré leur air de ressemblance (qui fait plutôt penser à la beauté idéale), ce ne sont pas des modèles, mais de vraies femmes (même si la récompense donnée par Aphrodite n'a pas été son propre corps, mais celui d'Hélène). La preuve : au moment de recevoir la pomme, Aphrodite, et elle seule, a les cheveux dénoués.
Certains historiens de l'art voient dans ce changement de style de Cranach le début de la décadence qui va s'accentuant après 1525. D'autres jugent la production des années 1505 à 1525 d'égale valeur, quoique très différente de celle des années viennoises. Cette simplification voulue des formes, des compositions et des couleurs permet à l'atelier de copier à la demande, avec de simples variantes, les créations du maitre.
Cranach crée ainsi une figure féminine idéale et stylisée sur des canons anti-classiques. Cette figure gracile, représentée le plus souvent avec des déformations onduleuses, a été interprétée comme une persistance du gothique ou une participation au maniérisme international. Le pouvoir de séduction de l'artiste réside dans l'utilisation du pouvoir suggestif de la ligne sinueuse et du contraste des couleurs disposées en larges surfaces.