En 1964, dans la campagne irlandaise, trois jeunes filles sont rejetées par leur famille. L'une a été violée, la deuxième est trop jolie, la troisième est fille-mère. Toutes les trois sont livrées à l'autorité des surs de Marie-Madeleine dont le couvent abrite une institution qui doit les ramener dans le droit chemin.
TELERAMA
Peter Mullan décrit avec un soin quasi documentaire et, paradoxalement, un sens étonnant de la dramaturgie la vie de ces filles enfermées de force et pour rien. Des Oliver Twist au carré, des David Copperfield au cube. Aucun misérabilisme dans sa mise en scène. Aucun naturalisme. L’hystérie de ses comédiennes est surveillée au millimètre. Notamment lorsque Crispina la simplette s’adresse au prêtre qui célèbre l’office : « Vous n’êtes pas un homme de Dieu »… La voix, fragile, devient forte, éclatante. Elle envahit l’espace, vrille les tympans. Le film est aussi fort que cette litanie révélant à l’assistance une vérité terrifiante. Lion d’or à Venise en 2002.
En septembre 2002, The Magdalene Sisters remportait le Lion d’or à la Mostra de Venise. Réaction immédiate du Vatican, via L’osservatore romano, quotidien officiel du Saint-Siège : le film serait une « caricature ratée », une « provocation rageuse et rancunière ».
Adaptation en fiction du documentaire Sex in a Cold Climate, diffusé en mars 1998 à la télévision, The Magdalene Sisters est une plongée glaçante dans le quotidien de quatre jeunes femmes envoyées contre leur gré dans les Magdalene Laundries, blanchisseries gérées par des religieuses, où sont passées des milliers de femmes entre 1922 et 1996, date de fermeture de la dernière institution.
Derrière les murs épais de ces établissements, les blanchisseuses, coupées du monde, lavaient du linge toute la journée, sans aucune rétribution financière, dans le silence, les humiliations et les coups. Certaines ont aussi dénoncé des abus sexuels. Les pensionnaires étaient censées laver leurs « péchés », telle Marie Madeleine, ancienne prostituée qui lava les pieds du Christ avec ses cheveux pour se repentir. Ce qu’on leur reprochait ? Être tombées enceintes hors mariage, avoir des troubles mentaux, avoir subi un viol, ou… être « trop jolies ».
Alors que dans les années 1990 l’Église catholique irlandaise est secouée par des scandales de pédocriminalité, le silence autour de ces institutions demeure assourdissant. Mais, en 1993, au cours d’une opération immobilière, cent cinquante-cinq corps de femmes enterrés anonymement sont découverts sur le site de l’une des plus grandes Magdalene Laundries de Dublin, sans qu’aucune enquête ne soit menée. Un groupe de femmes décide de s’unir pour qu’un hommage soit rendu aux victimes, comme le rappelle le magazine La Vie des idées dans un long article de 2018. Une plaque commémorative, la première, est inaugurée dans un parc local. L’association Justice for Magdalenes (JFM) naît quelques mois après la sortie du film en Irlande, en octobre 2002. Le pays est secoué et le monde découvre enfin cette sordide histoire.
L’association JFM saisit l’ONU en 2011, frustrée qu’aucune faute de l’État ne soit reconnue. En effet, si ces blanchisseries étaient gérées par des religieuses, l’Irlande est tout de même accusée d’avoir contribué à l’exploitation des pensionnaires en utilisant le linge de ces blanchisseries pour l’armée ou les hôpitaux. En outre, les femmes qui parvenaient à s’échapper y étaient renvoyées de force par la police. Le panel de l’ONU consacré à cette affaire exhorte l’Irlande à enquêter sur les allégations de torture, reprochant au pays d’avoir failli à superviser ces blanchisseries, « où des faits d’abus physiques, émotionnels et autres mauvais traitements ont été commis ». Une commission d’enquête (le « McAleese committee ») est créée, récoltant des témoignages accablants. Elle démontre notamment que l’Irlande a autorisé, entre 1922 et 1996, 26 % des admissions de ces pensionnaires réduites en esclavage…
Le 19 février 2013, soit dix-sept ans après la fermeture de la dernière Magdalene Laundry, le Premier ministre irlandais, Enda Kenny, assure que « le gouvernement et les citoyens d’Irlande présentent sans réserve leurs excuses pour le mal infligé à ces femmes ». Sans pour autant assumer une responsabilité ou proposer de compensation financière. En avril dernier, le film Tu ne mentiras point, avec Cillian Murphy, évoquait la prise de conscience d’un homme découvrant la réalité derrière ces institutions. Preuve que le sujet touche et intéresse toujours aujourd’hui.