WHITNEY HOUSTON, I wanna dance with somebody, Kasi Lemmons 2022, Naomi Ackie, Stanley Tucci (biopic)@@
Le portrait sans concession d'une femme complexe qu'on surnommait "la voix". De ses débuts comme choriste dans le New Jersey à son statut d'artiste parmi les plus récompensées et renommées de tous les temps, un retour sur le périple galvanisant, poignant et profondément émouvant de Whitney Houston. Un parcours exemplaire ponctué de concerts sensationnels et des chansons les plus emblématiques de la star.
TELERAMA
Malgré le talent de l’actrice Naomi Ackie, le destin tragique de la star de la soul disparue en février 2012 est largement édulcoré par le film de Kasi Simmons.
Il suscitait une certaine attente, ce biopic hollywoodien, première fiction d’ampleur sur Whitney Houston, décédée tragiquement dans la baignoire d’une chambre d’hôtel de Los Angeles, le 11 février 2012. Jusqu’ici, seuls l’avaient précédé un obscur téléfilm de 2015, et un bon documentaire de Kevin Macdonald en 2018. Si ce dernier, riche en révélations, éclairait sans voyeurisme, mais frontalement, la vie tumultueuse de la diva soul – révélant, entre autres, les possibles abus sexuels commis dans l’enfance par la cousine de Whitney, Dee Dee Warwick –, ce n’est pas le cas de ce film « autorisé », lisse comme une statue d’albâtre, et clinquant comme un faux diamant.
La réalisatrice Kasi Simmons, et le scénariste de Bohemian Rhapsody, Anthony McCarten, réduisent ici un destin « bigger than life » à une succession de saynètes formatées, éclusant, avec platitude, les passages obligés d’un chemin de croix jamais totalement assumé comme tel… Là réside le principal problème. Car sur l’ascension fulgurante de la petite fille du New Jersey, biberonnée au gospel et aux valeurs chrétiennes par une mère choriste, la cinéaste assure le show, sans réelle inspiration, mais avec une certaine efficacité.
Rien ne manque : la découverte de la voix d’or par le producteur Clive Davis, président d’Arista Records, le premier album propulsé en haut des charts, la gloire mondiale du film Bodyguard, etc. La participation au script de Clive Davis, qui, pour l’occasion, a mis à disposition le catalogue de chansons de Whitney Houston, permet de faire résonner sa voix, et de mettre en valeur ses tubes et prestations mythiques (dont le mémorable concert de 1994 en Afrique du Sud après l’élection de Nelson Mandela)…
Service minimum
Mais très vite, les choses se gâtent. Comme intimidée par son sujet – ou le regard des ayants droit ? – Kasi Simmons coche les cases d’une existence balisée par le drame, en se contentant d’assurer le service minimum. Si elle évoque, sans tabous, la bisexualité de son héroïne, sa longue relation secrète avec Robyn Crawford, devenue son assistante et sa directrice créative, c’est pour en livrer une version allégée, où, finalement, chacune s’accommode des compromissions imposées par la société et le statut de star dans les années 1990.
La relation toxique de Whitney avec sa famille, notamment son père, ou encore son mariage désastreux avec le rappeur Bobby Brown ? Édulcorés aussi, avec, pour la forme, deux petites scènes de ménage ou de règlement de compte presque proprettes, pour suggérer les violences, le vampirisme et l’emprise de l’entourage. Quant à la drogue, qui a causé la perte de la chanteuse, elle est pudiquement figurée au détour de quelques scènes elliptiques et, pour le coup, bien trop sages. Pour qui se souvient des images d’archives de l’époque, montrant la diva décharnée, fantomatique, le subterfuge paraît grossier.
Résultat, l’œil vif et le teint anormalement frais, cette Whitney Houston de carte postale s’achemine bravement vers son destin funeste, sans que jamais la déchéance, le désespoir, soient ressentis devant l’écran. Même sa mort est escamotée par un tour de passe-passe visuel : en lieu et place du dernier acte, c’est un flash-back interminable qui nous est présenté, où lors des American Music Awards de 1994, la star assure un medley historique, comparé à « l’ascension de l’Éverest ». Morceau de bravoure vocal qui, visiblement, dédouane la réalisatrice de clore son histoire.
À ce stade de tiédeur, et d’absence de point de vue, ce n’est plus du respect, mais de l’évitement. À se demander quel était le but de I Wanna Dance With Somebody : laisser à la postérité une image ripolinée, consensuelle de la chanteuse, plus rassurante pour les foules ? En ramenant les gouffres de cette vie sacrifiée à des accrocs filmés comme des séquences de soap, ce portrait de Whitney Houston ne lui rend, paradoxalement, pas hommage. Difficile de mettre en cause l’actrice Naomi Ackie (The Young Lady ; Star Wars, épisode IX ; Master of None) qui endosse ici un rôle écrasant, sans, du coup, réussir à lui apporter un véritable souffle.