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NAPOLEON, Abel Gance 1927, Albert Dieudonné (histoire bio saga)@@@   (voir la video)




L’épopée napoléonienne d’Abel Gance dans sa « Grande Version » inédite et définitive. Après 16 ans d’une aventure collective sans précédent dans l’histoire de La Cinémathèque française, le public est enfin invité à venir juger sur pièce un film que nul n’a jamais vu depuis 1927. Une reconstruction exemplaire menée par Georges Mourier, et dotée d'une partition inédite due au talent de Simon Cloquet-Lafollye, enregistrée par les musiciens des orchestres de Radio France.

TELERAMA
Le film de tous les records est enfin restauré dans sa « grande version » de sept heures. L’occasion de mesurer combien Abel Gance, cinéaste habité, était aussi visionnaire.

Il y a quelque chose de vertigineux, de très émouvant, aussi, à redécouvrir aujourd’hui un classique du cinéma muet qui n’était plus visible depuis près d’un siècle dans la version voulue par son auteur. Napoléon vu par Abel Gance a connu bien des avatars depuis sa toute première séance publique au palais Garnier, le 7 avril 1927, dans une version « courte » de trois heures quarante-sept. Un mois plus tard, le cinéaste de J’accuse présente au Théâtre Apollo une version longue de neuf heures. Puis retourne à nouveau en salle de montage pour aboutir à une « grande version » de sept heures destinée aux salles qui, en raison de sa durée hors normes, verra son exploitation réduite à néant. Ne pouvant se résoudre à l’invisibilisation de son grand œuvre, Gance va lui-même le mutiler à plusieurs reprises, allant jusqu’à le sonoriser et à tourner de nouvelles scènes pour espérer conquérir un plus large public. En quatre-vingt-dix-sept années d’existence, Napoléon va ainsi cumuler une vingtaine de versions différentes (parfois très éloignées du projet originel) et faire l’objet de cinq restaurations.

La sixième, que vient d’achever le réalisateur et chercheur Georges Mourier pour la Cinémathèque française, est assurément la plus ambitieuse par son ampleur. Il aura fallu plus de quinze ans de travail, de nombreuses innovations numériques et 4,5 millions d’euros (ce qui en fait la « reconstruction » la plus chère de l’histoire du cinéma) pour faire renaître la « grande version » chère à Abel Gance : sept heures, découpées en deux époques, qui couvrent dix-sept années de la vie de Napoléon Bonaparte, de son passage à l’école militaire de Brienne jusqu’à la campagne d’Italie, en passant par la chute de la royauté ou l’assassinat de Marat (joué par Antonin Artaud).

Film de guerre, western, comédie romantique…
Il y a de quoi être intimidé devant un tel monument. Même si certaines séquences, plombées par le jeu outrancier de certains comédiens, accusent le poids des ans. Même si les quatre-vingts minutes consacrées – semblent durer le double. Même si la vision hagiographique du grand homme, présenté comme le sauveur de la Révolution française, tourne à l’imagerie sulpicienne – Napoléon mis en scène par Abel Gance et incarné par un Albert Dieudonné habité, c’est à la fois Dieu le Père, le Christ et le Saint-Esprit (l’aigle impérial remplaçant évidemment la colombe)… Dans un discours de 1891 resté célèbre, Georges Clemenceau invitait les députés à considérer la Révolution française comme « un bloc dont on ne peut rien distraire » : on l’accepte dans son intégralité (exécutions de masse de la Terreur incluses), ou on la rejette. Un point de vue d’autant plus partagé par Abel Gance que la formule pourrait s’appliquer à son film lui-même : la « grande version » de Napoléon est bien un « bloc », dont les excès, les maladresses, l’emphase sont indissociables de son audace créatrice, de sa splendeur, de son lyrisme digne des plus belles pages de Victor Hugo. Un exemple, rare, de cinéma total, qui brasse tous les genres : film de guerre, bien sûr, pour célébrer les premiers exploits militaires du jeune Bonaparte ; mais aussi western à la John Ford quand Napoléon fuit à cheval ses rivaux paolistes dans le maquis corse ; comédie romantique, à travers la rencontre, savoureuse, du général mal dégrossi et de la séductrice Joséphine de Beauharnais ; et comédie tout court, le tout flirtant, parfois, avec le fantastique.

La narration, elle aussi, fait preuve d’originalité avec de longues digressions historiques et la mise en avant de personnages fictifs « ordinaires » qui sont à la fois les témoins du destin napoléonien et ceux qui veillent sur lui. Tristan Fleuri (le formidable acteur russe Nicolas Koline), tour à tour commis de cuisine à Brienne, aubergiste à Toulon, greffier indulgent du tribunal révolutionnaire et fidèle grognard de l’armée d’Italie, est l’incarnation bienveillante, humoristique du peuple, quand sa fille Violine (la future star Annabella) en représente la dimension tragique, sacrificielle.

Gance invente le split-screen avant la lettre
Mais la sidération est, d’abord, d’ordre esthétique. Pionnier de l’avant-garde, Abel Gance semble avoir voulu repousser toutes les limites, techniques et formelles, de son art. Ça commence dès l’emballant prologue à Brienne, où une bataille de boules de neige est filmée en caméra subjective (comme si l’appareil était fixé sur les projectiles) avant que l’écran ne se transforme en damier lors d’un autre affrontement entre les aspirants officiers, à coups de polochons cette fois. Un peu plus loin, Gance fait un montage parallèle somptueux entre deux tempêtes : celle, littérale, qu’affronte Napoléon sur un frêle voilier au large de la Corse et, celle, métaphorique, à la Convention, qui oppose les Girondins au parti de Robespierre. Et que dire de ce travail sur les surimpressions (jusqu’à seize dans le même plan !) qui emmène la représentation cinématographique aux limites de l’abstraction…

Le film se conclut en apothéose avec vingt-cinq minutes de campagne d’Italie en « polyvision » : l’écran s’élargit, se détriple, pour accueillir trois images tournées par trois caméras différentes. Plus encore que le procédé technique en lui-même, c’est son utilisation inventive qui éblouit, à la fois tournée vers le futur et nourrie par la tradition. Gance ne se contente pas de formats panoramiques pour insérer des centaines de figurants dans le même plan : il invente le split-screen avant la lettre (trois images, trois actions ou points de vue différents) ; et, à d’autres moments, retrouve la grâce des retables mystiques du Moyen Âge dans des triptyques stupéfiants de beauté où, entre autres merveilles, le futur empereur à cheval se dédouble pour encadrer un simple soldat marchant vers la victoire. Le bouquet final d’un feu d’artifice visuel.

France, 1927 (deux époques, 3h47 et 3h27). En ciné-concert à la Scène musicale, Boulogne-Billancourt (92), les 4 et 5 juillet, à 18h. En intégralité à la Cinémathèque française les samedis et dimanches, à 14h30, jusqu’au 21 juillet. En salles le 10 juillet (cinémas Pathé). Et au Festival Radio France Occitanie Montpellier (Le Corum, Opéra Berlioz), les 18 et 19 juillet à 20h.
UNE PARTITION HORS NORMES
Film de tous les superlatifs, Napoléon vu par Abel Gance l’est aussi par son accompagnement musical : sept heures de partition d’une traite… Simon Cloquet-Laffolye, le compositeur chargé de cette tâche herculéenne, a pioché dans le répertoire symphonique pour tricoter, façon patchwork, 148 extraits puisés chez 48 auteurs différents, du baroque (Haydn) au contemporain (Penderecki). Avec des pièces très célèbres (la « Barcarolle » des Contes d’Hoffmann, d’Offenbach, la Sixième de Malher) et d’autres (signées Philippe Gaubert, Anatoli Liadov ou Guy Ropartz) qui le sont beaucoup moins. Malgré quelques fautes de goût (« La Mort de Siegfried », de Wagner, qui rajoute du grandiloquent à la grandiloquence pour illustrer le siège de Toulon), le résultat, interprété par les orchestres et le chœur de Radio France, est bluffant.