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denis (claire) - un beau soleil interieur

(taille reelle)


Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Gerard Depardieu, Nicolas Duvauchelle

Isabelle, la cinquantaine rayonnante, est divorcée et mère d'un enfant. Malgré ses échecs sentimentaux, elle ne perd pas espoir. L'artiste peintre cherche l'amour mais ne tombe que sur Vincent, un banquier veule et odieux, Fabrice, un galeriste prétentieux et méprisant. Il y a aussi cet acteur qui n'envisage pas la vie quotidienne à deux et ne veut pas s'engager. Bref, les hommes ne sont que déceptions. Isabelle ne baisse pas les bras et rencontre alors Sylvain.

Rayonnante de sensualité, Juliette Binoche illumine cette quête amoureuse aux dialogues d’une ironie extrême, ciselés par Christine Angot. Troublant.
Des Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes, que Claire Denis a songé à adapter avant de tourner ce nouveau film, il reste, au moins, les fragments. On voit d’abord Isabelle (Juliette Binoche) au lit avec un amant (Xavier Beauvois), dont la lenteur à jouir l’impatiente et l’exaspère. La scène suivante — quelques jours après — suggère la fin de cette liaison. Puis, sans transition, la même Isabelle (des semaines plus tard, sans doute) dialogue avec un autre (Nicolas Duvauchelle) quant à la possibilité d’une histoire entre eux… Et ainsi de suite.

Cette juxtaposition de moments clés, sans scènes intermédiaires, définit un style, crée une réalité différente de l’ordinaire : à la fois un peu abstraite et terriblement frontale. Surtout, il donne au film une cohérence, une concentration imparables. Pas d’intrigue, aucune digression. Parmi les rares cinéastes français à croire que la forme compte plus que tout, Claire Denis réussit à produire une sensation d’inédit en traitant d’un seul et antique sujet : la recherche de l’amour. Isabelle, divorcée, un enfant, beaucoup de déceptions affectives, ne baisse pas les bras. Elle les ouvre à chaque homme qui l’attire, avec l’espoir fou d’une fusion enfin durable.

L’autre trait saillant du film est la parole. Surabondante, elle relance sans cesse la donne, trahit ceux qui en abusent. L’écrivaine Christine Angot a cosigné les dialogues, d’une précision et d’une ironie extrêmes. Les mots sont des accélérateurs de sentiments ou, au contraire, des signaux d’alarme. Quand Nicolas Duvauchelle, en homme-enfant marié, donc peu disponible, répète avoir « un problème avec le jour après jour », l’expression même alerte Isabelle. Un gouffre invisible s’ouvre entre eux, qui tient au choix des mots, au-delà du moment de séduction réciproque.

Ces flots de paroles révèlent aussi le point faible d’Isabelle et, plus encore, celui de ses partenaires : à chaque instant, ils veulent tout et son contraire. Rompre et continuer à se voir. L’élan des débuts et les bienfaits de la durée. La romance et les orgasmes. L’intimité du tête-à-tête et l’affichage social. Un miroir sera finalement tendu à tant d’aspirations simultanées : dans la plus grande scène du film — y compris par la durée —, Gérard Depardieu (extraordinaire), le voyant consulté par Isabelle, lui annonce tout le champ des possibles. Il lui conseille de veiller sur untel mais en s’attendant au retour d’un autre. Il lui recommande de se recentrer sur elle-même (sur son « soleil intérieur »), mais lui prédit une rencontre majeure.

L’héroïne se demande parfois si sa vie amoureuse est derrière elle. Son âge n’est pas donné, même s’il est logique de lui attribuer celui de Juliette Binoche, qui débuta dans les années 1980. En donnant à son actrice un éclat juvénile et une sensualité rayonnante, la réalisatrice écarte, heureusement, la piste, désormais très fréquentée par le cinéma français, de l’amour après 50 ans. L’équation à laquelle Isabelle est confrontée fait davantage écho à notre civilisation des rencontres faciles (via les sites et les applications numériques), aux malentendus et aux impasses qui résultent de cette apparente profusion. Isabelle dit chercher un homme, elle en trouve dix… Tout sauf moralisatrice, Claire Denis actualise avec lucidité la carte de Tendre. Sa première comédie peut donner le fou rire, mais aussi un léger vertige.

Louis Guichard (Telerama)