UNE AFFAIRE PRIVEE, Guillaume Nicloux 2002, Thierry Lhermitte, Clovis Cornillac, Marion Cotillard (thriller)@@
Une mère charge un détective privé désabusé de reprendre l'enquête sur la disparition de sa fille il y a six mois.
TELERAMA
Du polar, du classique. Et du bon, grâce au sens du décor de Guillaume Nicloux et aux prouesses de ses acteurs.
À quoi reconnaît-on un bon polar ? Au nombre de clopes grillées et de verres descendus. La tradition, ça a du bon, et cette Affaire privée, riche en goudrons et en alcool, n’y coupe pas. Guillaume Nicloux sait pourtant qu’il faut adapter et recomposer cette tradition, sans quoi on débouche vite sur une voie de garage tapissée d’images d’Épinal. Au placard, donc, la gabardine, le chapeau, le whisky et le carnet du privé. Place à la parka informe, à la Kro, au mini-magnéto, à la gueule fatiguée de François (Thierry Lhermitte), qui est détective salarié dans une agence tenue par une femme. Un type désabusé qui vit seul dans un appart crade et en foutoir. Il a une maîtresse, mais c’est comme s’il n’en avait pas. Il fait tout machinalement, sans conviction. Idem lorsqu’il s’agit de se coltiner cette nouvelle enquête vaseuse : Mme Siprien, qui dirige… une entreprise de pompes funèbres, voudrait retrouver sa fille, Rachel, disparue depuis plusieurs mois.
En l’absence de cadavre, on ne peut même pas dire que l’affaire sente mauvais… Au début, François pose les questions d’usage à l’entourage, mais il écoute à peine les réponses. Il se donne une semaine pour classer l’affaire, résolue ou non. Sauf que, de brutaux avertissements en petits secrets louches sur la vie dissolue de Rachel, François sort de son indifférence lasse. Il commence à flairer des trucs pas clairs du tout. Vient s’ajouter, il est vrai, la sensualité irrésistible d’une amie proche de Rachel, Clarisse (Marion Cotillard)…
Un casting épatant
L’avantage du privé, c’est de voir du monde, d’interroger des spécimens de tous horizons, rupins, noctambules, employés ou étudiants. Défilent ainsi un voisin retraité aussi obséquieux que fureteur, un barman obsédé par la gonflette, une mère à l’obstination suspecte, un kinésithérapeute qui tord le cou aux clichés… Ces seconds rôles trouvent un à un leur place dans le puzzle et sont servis par d’excellents acteurs qui parviennent, en une seule scène parfois, à donner vie à de vrais personnages : Jeanne Balibar, Robert Hirsch, Niels Arestrup, Carlo Brandt, Samuel Le Bihan, Marion Cotillard, Jean-Pierre Darroussin, Aurore Clément... c’est ce qu’on appelle un casting ouvert.
Sur les traces de Melville
Mais un privé est aussi un voyeur, un type qui épie sans être vu. Il doit avoir ce don de se fondre dans la ville, de fouiner un peu partout, jardins, entrées d’immeubles, caves. Cette position de voyeur tend ici vers une forme de retrait, d’effacement silencieux qui donne à cette Affaire privée son étrangeté. Il suffit d’une fenêtre ouverte pour donner à voir d’autres intérieurs, d’autres vies. Le film est une fenêtre sur la ville, sur ce Paris un peu déserté et revisité avec un regard totalement neuf. Guillaume Nicloux a le sens du décor insolite et filme chaque coin de rue et chaque façade comme un personnage. Il pousse l’aventure jusqu’en banlieue, sur les traces de Jean-Pierre Melville qui l’a inspiré mais qu’il ne plagie jamais...
L’idée de faire de François un père et un homme qui ne se console pas d’être séparé de sa femme est une idée originale dans le contexte du genre même si l’on aurait aimé plus de mélancolie ou de gravité chez lui. Corps avachi, regard éteint, lorsqu’il colle ses indices dans son classeur, comme un écolier consciencieux, François est une petite énigme à lui tout seul. Une énigme qui ne serait pas ce qu’elle est sans Thierry Lhermitte, vraiment bien dans ce rôle à contre-emploi, presque opaque. La fin d’une carrière un peu transparente ?