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Tu m'as prise contre ta poitrine, comme une colombe qu’une petite fille étouffe sans le savoir
Je t’ai prise avec toute ta beauté. J’ai empli mon avidité sensuelle
de ton sourire, de tes regards, de tes frémissements ...
Et qui peut prendre, qui peut saisir des nuages ?
qui peut mettre la main sur un mirage ?
et qu’il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l’azur céleste
J’ai bien cru prendre toute ta beauté et je n’ai eu que ton corps
Le corps hélas n’a pas l’éternité, le corps a la fonction de jouir mais il n’a pas l’amour
Et c’est en vain maintenant que j’essaie d’étreindre ton esprit
Il fuit il me fuit de toutes parts comme un nœud de couleuvres qui se dénoue
Et tes beaux bras sur l’horizon lointain sont des serpents couleur d’aurore
qui se lovent en signe d’adieu. Je reste confus je demeure confondu
Je me sens las de cet amour que tu dédaignes
Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant
Le corps ne va pas sans l’âme.
Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère
puisque ton âme était si éloignée de moi
Et que le corps a rejoint l’âme
Comme font tous les corps vivants

Guillaume Apollinaire