Ancien comédien aujourd'hui à la retraite, Aydin s'est retiré dans son village d'Anatolie où il tient un hôtel. Il aime discuter avec ses hôtes et, de temps à autre, écrit des chroniques pour un journal indépendant. Alors que l'hiver s'installe, les touristes étant partis, cet homme mûr se retrouve avec sa jeune épouse, Nihal, et sa soeur, Necla, encore très affectée par son divorce.
TELERAMA
Aydin est un homme qui se dit, se veut, se croit raisonnable. Dans cette petite ville de Cappadoce, en Anatolie centrale, où les maisons, encastrées à même la roche, ressemblent à un décor de théâtre, il tient un hôtel pour touristes : l’Othello. Car, de longues années, il a été comédien célèbre et, selon lui, talentueux. Et voilà que cet homme fait, bien fait, peut-être surfait, va doucement se défaire…
Dans Les Climats (2007), Nuri Bilge Ceylan scrutait les corps d’un homme et d’une femme en pleine rupture. Ici, ce sont les âmes qu’il fouille avec une lucidité qui pourrait passer pour du sadisme, si son regard n’était constamment éclairé par la bienveillance. Tout ce que l’on tait, tout ce que l’on cache, tout ce que l’on sait de l’autre sans vouloir le dire, tout ce que l’on pense de soi sans pouvoir se l’avouer, il le révèle, peu à peu… Notamment lors des deux grands affrontements (une vingtaine de minutes chacun) du héros avec sa sœur, puis sa jeune femme : simples champs-contrechamps filmés dans une pénombre où seuls les visages deviennent des taches de lumière. L’épouse reproche à Aydin sa condescendance. La sœur, sa suffisance. « Tu faisais notre admiration, lui dit-elle. Nous pensions tant que tu ferais de grandes choses… »
Une fois encore, Tchekhov semble s’être glissé dans la peau du cinéaste. Winter Sleep, inspiré par plusieurs de ses nouvelles, est tout imprégné de son désenchantement, de sa malice, de sa compassion… Ce film superbe, dont on ne sort pas indemne, qu’on emporte avec soi pour ne le quitter jamais, provoque, en nous, la peur et la mélancolie : angoisse à l’idée d’être liés, même de loin, à tous ces personnages en perte d’eux-mêmes. Et tristesse infinie de savoir qu’un jour ou l’autre, on leur ressemblera.