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AI INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, Steven Spielberg 2001 (science fiction)@@
La fonte des glaces a considérablement réduit la surface habitable sur la Terre. Le strict contrôle des naissances a nécessité le développement de robots à l'aspect humain, les mécas. L'un d'eux, David, tout juste mis au point, est capable d'éprouver des sentiments. Il est adopté par Henry et Monica dont le fils, atteint d'une maladie incurable, a été cryogénisé. David ne souhaite qu'une seule chose : être aimé par sa maman.

TELERAMA
Spielberg pastiche Kubrick puis caricature Spielberg. Bref, on n'y croit plus et on s'ennuie.
Pour une fois, le nouveau Spielberg n'arrive pas auréolé d'un mégasuccès outre-Atlantique. A.I. (pour Artificial Intelligence) a plutôt été boudé par le public américain. Spielberg, artiste maudit ? Cela se saurait. Au premier coup d'oeil, ce nouvel opus témoigne de la même volonté de séduire les foules que les précédents : budget pharaonique, gros sujet (énoncé par le titre), gamme complète d'effets, du sentimental au spectaculaire. Si A.I. ne restera pas dans les records de fréquentation, c'est plutôt pour cause d'accident industriel, comme si le cinéaste avait raté son dosage, livrant un film incroyablement hétérogène, tour à tour assez peu et beaucoup trop « spielbergien ».

Assez peu « spielbergien », d'abord. C'est l'impression de la première heure (sur 2h26), trace la plus évidente de l'héritage de Stanley Kubrick ­ A.I. fut pendant des années un projet de ce dernier, inspiré par le romancier Brian Aldiss (lire page 64) et finalement légué faute de temps ou d'envie à son « ami Steven », qui l'a entièrement réécrit. Nous sommes au milieu du XXIe siècle. La carte de l'Amérique a sacrément changé, suite à la fonte des glaces. La vie quotidienne aussi, compte tenu du recours massif aux robots, dont les plus sophistiqués, les « mécas », ressemblent à des êtres humains. L'un deux, David, ersatz parfait de petit garçon blond, doté de la parole mais aussi de la « pensée » et de la faculté de s'émouvoir, fait son entrée chez les Swinton, un couple de provinciaux. Il devient, par programmation irréversible, leur « fils ».

Jamais Spielberg n'avait filmé ainsi une famille d'Américains moyens : dépressive, repliée, anxieuse, comme dans une étrange prémonition... Les Swinton ont peur ­ de David, entre autres, assez imprévisible ­, mais surtout ils font peur. Par leur volonté désespérée de ressembler à des parents comme les autres, ils évoquent de sinistres robots. Face à eux, David, la machine, distille un malaise beaucoup plus complexe. Le regard fixe, inquiet, interrogatif, en perpétuelle demande d'affection, il tourne autour de sa mère adoptive dans une maison circulaire, labyrinthique, asphyxiante. Kubrick projetait de faire jouer ce rôle par un vrai robot, mais la solution de Spielberg est à la fois plus simple et plus riche. Haley Joel Osment (l'acteur enfant du Sixième Sens), irréellement normal ou tragiquement inhumain, est ce qu'il y a de plus réussi dans A.I. : davantage qu'une intelligence, une sensibilité artificielle.

Le sentiment de gâchis n'en est que plus vif pendant l'incohérente et interminable suite du film. Quand les « parents » de David décident finalement de se débarrasser de lui au fond d'un bois, ce dernier entame une série d'aventures à grand spectacle s'étalant sur plus de deux mille ans, sous le double signe de Pinocchio (chercher la Fée bleue pour devenir un vrai petit garçon) et d'E.T. (téléphone maison, revoir maman). Mais plus le sujet initial du film ­ l'aspiration de la machine à la simple humanité ­ est formulé explicitement par David, plus il se réduit à un simple gadget scénaristique, sans profondeur ni portée philosophique. Exit le malaise et l'ambiguïté. Spielberg est désormais en terrain trop familier, sur les pas d'un personnage « positif » qui a un rêve et entend le réaliser, quelles que soient les épreuves à traverser.

L'image du parc d'attractions, si souvent utilisée pour décrire le cinéma de Spielberg, retrouve alors toute sa pertinence, sauf que, cette fois, plusieurs attractions-vedettes se révèlent défectueuses. Et d'abord cette grotesque flesh fair, grande fête violente où les humains détruisent leurs « mécas » avec hargne et jubilation ­ on se demande bien pourquoi... Autre flop : le robot gigolo voué au sexe et incarné par Jude Law qui devient un temps le complice de David. Sans doute trop puritain pour cette créature kubrickienne, Spielberg ne semble pas savoir quoi en faire.

Un seul moment de rémission, fugitif, vers la fin : le survol de New York largement immergé (après la fonte des glaces), Twin Towers comprises. Un mirage funèbre, forcément troublant. Quant à l'odyssée de David en quête de la Fée bleue, on n'en peut plus depuis longtemps. Le voir traverser des siècles de futur, scruter les fonds marins en compagnie de son nounours Teddy puis refaire à lui tout seul les rencontres du troisième type (Spielberg s'autocite plus que de raison) ne suscite qu'accablement. Et tout cet échafaudage de péripéties futuristes paraît encore plus vain quand le cinéaste arrive à sa destination finale : l'histoire d'un petit garçon qui a besoin du baiser de sa maman pour s'endormir. Soit une histoire déjà racontée, en deux mille une fois mieux, non pas par Kubrick, mais par Proust.