MADRES PARALELAS, Pedro Almodóvar 2021, Penelope Cruz, Milena Smit (societe)@@@
Deux femmes, Janis et Ana, se rencontrent dans une chambre d'hôpital, sur le point d'accoucher. Elles sont toutes les deux célibataires et sont tombées enceintes par accident. Janis, d'âge mûr, n'a aucun regret et durant les heures qui précèdent l'accouchement, elle est folle de joie. Ana en revanche, est une adolescente effrayée, pleine de remords et traumatisée. Janis essaie de lui remonter le moral alors qu'elles marchent telles des somnambules dans le couloir de l'hôpital.
TELERAMA
Avec “Madres paralelas”, le roi Pedro joue une nouvelle fois avec nos émotions.
La géométrie simple suggérée par le titre cache bien des zigzags autour de ces deux « mères parallèles », l’une quadragénaire, l’autre à peine sortie de l’adolescence. Après leur rencontre dans une maternité de Madrid et leurs accouchements simultanés, elles éprouveront, en effet, toutes sortes de sentiments aigus l’une pour l’autre. Et une tragédie viendra briser, au milieu du film, la symétrie apparente de leurs trajectoires. Depuis longtemps, chez Pedro Almodóvar, la surface est trompeuse. L’image reste séduisante, la lumière, flatteuse, et les décors, accueillants, mais la mélancolie et le chaos couvent.
Malgré un travail de photographe pour papier glacé et un magnifique appartement, la vie de Janis (Penélope Cruz) baigne ainsi dans une indéfinissable tristesse, une inquiétude diffuse. La mère célibataire gère son quotidien (femme de ménage, nounou à domicile ) avec froideur. Elle s’est accommodée de la perspective d’élever seule son enfant, puisque le père, amant désiré, n’était pas libre. Et voici qu’elle se met à douter, comme cet homme, revu de loin en loin, que le bébé soit véritablement le sien. La belle Janis sourit peu, comme si la méfiance et l’intranquillité l’avaient submergée.
Enterrer les morts et réparer les vivants
C’est que l’Espagne dépeinte par le cinéaste n’en finit pas de panser les plaies causées par des décennies de franquisme, jusqu’au milieu des années 70. Pays non réconcilié, puisque l’ancien dictateur a toujours des fans, mais surtout meurtri. L’arrière-plan très présent de Madres paralelas et la hantise de Janis sont la fosse commune où furent jetés certains de ses aïeux par des phalangistes, près de son village. Depuis, une loi d’amnistie invitant les Espagnols à un « pacte de l’oubli » (en 1977) a rendu difficile ou impossible l’ouverture de telles fosses. Janis se bat pour faire déterrer les victimes et les rendre à leurs familles. Un juriste et anthropologue en position de l’aider est ainsi apparu dans sa vie — et devenu le père supposé de son enfant.
Le thème de la restitution, Almodóvar le développe aussi au premier plan, et au présent, à travers l’histoire d’un échange malencontreux des deux bébés à la maternité. Contre toute attente, le réalisateur issu de la Movida, et chantre, alors, des familles électives, biscornues, fondées sur les seules affinités, signe donc, aujourd’hui, un éloge des liens du sang : tout le film tend à ramener chacun(e), vivant ou mort, auprès de sa famille biologique, d’une manière ou d’une autre. Mais ce mouvement n’a rien d’un repli. Il tient davantage d’un nécessaire travail de mémoire, de connaissance de soi et des autres.
Milena Smit, une héritière de la Movida
L’articulation, passablement rocambolesque, entre les deux intrigues peut apparaître comme un point faible de Madres paralelas : l’échange de nourrissons évoquerait, en creux, les trafics de bébés organisés avec la complicité de l’État sous Franco. Or ce parallèle-là n’est jamais explicité par les personnages. Si le film n’a pas tout le temps l’éclat magique des deux précédents longs métrages d’Almodóvar (Julieta, Douleur et gloire), il reste un modèle d’intensité. Le destin en marche, le tragique des existences s’y expriment comme chez bien peu de cinéastes aujourd’hui, remarquablement incarnés par Penélope Cruz (prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise) et ses partenaires, moins connus (Milena Smit, la jeune mère, Israel Elejalde, l’anthropologue). Tous s’acheminent vers un tableau final inoubliable, aussi bouleversant que réparateur.