arpoma.com - Rep. / Data
(20 sur 78)   (liste)
◀◀         (20 sur 78)         ►►


























(grand format)   (taille reelle) (loupe: alt+cmd+8)
EMMANUELLE, Audrey Diwan 2024, Noemie Merlant (film e)@@
Emmanuelle est en quête d'un plaisir perdu. Elle s'envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.

TELERAMA
Thriller érotique mental et audacieux pour les uns, production lisse et déconnectée de la réalité pour les autres. La relecture du film culte de 1974 divise

POUR : Noémie Merlant, fascinante de bout en bout
Qu’attendre cinquante ans après d’une nouvelle version d’un film érotique aujourd’hui bien suranné, qui fut un phénomène de société en son temps ? On parlait alors de « libération sexuelle ». Non sans culot, cette relecture prend exactement le contre-pied et filme un blocage : l’héroïne n’arrive plus à jouir. En faisant d’elle non plus un objet sexuel mais le sujet du récit, Audrey Diwan change de perspective. La première scène d’amour, dans l’avion, tout en élégance feutrée et silencieuse, est en soi emblématique. Emmanuelle en est l’initiatrice – c’est elle qui invite un passager en s’enfermant dans la cabine des toilettes. Mais tandis que l’homme s’active dans son dos, elle reste impassible, froidement ailleurs.

Belle à faire peur, cette femme est une tueuse. Au sens néolibéral du terme. Regard d’acier, responsable du contrôle qualité, elle débarque dans un palace de Hong Kong pour juger si ses services sont bien optimums. Elle observe tout avec minutie, chronomètre, goûte, évalue et consigne son rapport de manière rigoriste. Elle a la sophistication d’une vamp hollywoodienne. Un peu vampire donc, et nullement puritaine. La libertine, en quête d’un plaisir perdu, tente deux expériences, mais qui s’avèrent décevantes. Seul ce bel inconnu qu’elle ne cesse de croiser à l’hôtel semble rallumer sa flamme…
Le pari, c’est de faire un thriller érotique et mental, qui temporise. Déambule, flotte entre fantasme et réalité, dans un monde soyeux qui tient du piège, où tout n’est que frôlement, glissement. Exercice de style assumé, le film est au bord de l’image publicitaire, sans jamais y sombrer. Il joue plutôt à cache-cache avec les clichés, le « déjà-vu », semble lancer des clins d’œil (à In the Mood for Love, de Wong Kar-wai), revisite des archétypes – une scène avec un glaçon « torride ». Se fait sensuel, sans être nécessairement charnel.

Lente et progressive, la montée de fièvre dépend d’un changement de trajectoire du personnage et d’une transformation. Parfaitement lisible sur le visage de Noémie Merlant (fascinante de bout en bout), plus détendu et lumineux au fil des séquences. Au-delà de l’orgasme, le film vise surtout une autre vie, une renaissance, en nous tenant en haleine. Pas de plaisir sans mystère. Pas de jouissance sans frisson. Ce qui, au passage, est une définition possible du cinéma. — Jacques Morice

CONTRE : Lisse comme une publicité interminable
Sur le papier, glacé, trois femmes puissantes, trois personnalités ayant porté haut et fort le désir féminin post-#MeToo, avec ce qu’il impose de nuances. Audrey Diwan, la cinéaste qui a su adapter Annie Ernaux à l’écran (L’Événement, Lion d’or à Venise) ; Rebecca Zlotowski, sa coscénariste, dont les films s’emploient à déconstruire nos représentations (de la cagole dans Une fille facile, de la belle-mère dans Les Enfants des autres) ; Noémie Merlant, l’actrice qui n’a jamais froid, ni aux yeux, ni aux fesses, qu’elle assume de dévoiler pour incarner des héroïnes qui le méritent. Bref, la crème de la crème des autrices féministes et cérébrales aux commandes d’une relecture du fleuron de l’érotisme pompidolien : on était prêt à adorer le résultat.

Trois fois hélas ! Plaisir en berne dans tous les sens du terme. L’héroïne ne peut pas jouir, le spectateur non plus. L’action patine, les scènes de sexe, sans invention, excitent modérément. Était-ce le but ? Sous couvert d’interroger les mécanismes de la libido, le film reproduit une imagerie éculée de palace feutré, de luxe outrancier, déconnecté de la réalité. Lisse comme une interminable publicité pour une compagnie aérienne extrême-orientale. Avec une litanie de métaphores liquides peu inspirées : spa, orage, inondation, et beaucoup de gouttelettes sur les fenêtres. On ne voit rien de Hong Kong, sinon un tripot enfumé, encore un cliché. En patronne d’hôtel interchangeable, Naomi Watts n’existe pas. À l’instar de Noémie Merlant, on attend le climax, la rencontre avec l’inconnu qui se refuse mystérieusement à elle. Le trouble n’arrivera jamais. Et la montagne de désir accouche d’une souris de frustration. — Jérémie Couston