LA NUEE, Just Philippot, 2020, Suliane Brahim, Marie Narbonne, Laura Hébrard (horreur catastrophe)@@
Virginie a du mal à concilier sa vie d'agricultrice avec celle de mère célibataire. Pour faire vivre sa famille et éviter la faillite de sa ferme, elle se consacre corps et âme à l'élevage de sauterelles comestibles. La vie est dure : les soucis financiers et les problèmes pratiques s'accumulent, les tensions avec ses enfants et ses voisins augmentent. Petit à petit, Virginie commence à développer un lien étrange et obsessionnel avec ses sauterelles.
TELERAMA
Dans sa petite exploitation écoresponsable, une mère de famille élève des sauterelles. Mais tout se dérègle… Un premier film horrifique fascinant.
Dans la famille des insectes, la sauterelle fait partie des « gentils ». Rien à craindre d’elle, a priori. Virginie, fermière atypique, a décidé d’en faire son animal d’élevage. Il s’agit de sauterelles comestibles dont elle tire une farine hyper protéinée, destinée à l’alimentation d’autres bêtes. C’est un type d’agriculture pionnière, peu coûteuse, écoresponsable. Cette mère de famille célibataire, courageuse, travaille durement et toute seule, pour que sa petite exploitation puisse la faire vivre avec ses deux enfants, encore en âge d’aller à l’école. L’aînée, adolescente, l’aide un peu puis rechigne, gardant un amer souvenir de la disparition de son père, qui s’est tué à la tâche avec ses chèvres…
Les gestes accomplis dans les serres abritant les sauterelles, les différentes étapes de la chaîne du travail, la vie au quotidien de la famille, les tracas mais aussi les moments de joie, tout cela est décrit de manière naturaliste. Reste qu’à travers des éléments tant visuels que sonores (la partition subtile de grésillements et de crissements), instillés tout au long de l’action, on pressent bien que La Nuée va décoller de la terre ferme vers le fantastique horrifique. Cette combinaison de réalisme et de film catastrophe est chose rare, sinon exceptionnelle dans le cinéma français. Pour son premier long métrage, Just Philippot frappe fort. En s’appuyant sur un scénario très original, il fait preuve d’une mise en scène aussi maîtrisée que réfléchie.
La violence qui se manifeste est d’autant plus marquante qu’elle reste longtemps réprimée. Elle couve. L’angoisse monte de manière lente et progressive, à mesure que l’éleveuse met la main dans un engrenage, contraire à ses principes, celui d’un productivisme à tous crins. Le film offre une allégorie aux interprétations multiples. Qui peut évoquer à la fois l’addiction au travail, l’enfermement dans une bulle, une folie faisant écho au dérèglement général — économique, climatique… Le tout se déploie avec une forme de beauté sanguinaire, monstrueuse. Dans sa manière de filmer l’insecte ailé sous différentes coutures, en très gros plan ou en nuée menaçante dans le ciel, le cinéaste fait assurément mouche, si l’on peut dire.
Son film émeut, aussi. Car on a largement le temps de s’attacher à chacun des personnages. Aux deux enfants inquiets ; confusément pour le cadet, lucidement pour l’aînée. Au viticulteur généreux qui vient souvent donner un coup de main, ami dévoué et possible amoureux. Et bien sûr à Virginie, à la fois bourreau et victime : Suliane Brahim (sociétaire de la Comédie-Française), fascinante de fébrilité, apporte une densité de chaque instant à ce personnage de femme av