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ORPHELINE, Arnaud des Pallieres 2016, Adele Haenel, Adele Exarchopoulos
Portrait d'une femme à quatre âges de sa vie. Petite fille de la campagne, prise dans une tragique partie de cache-cache. Adolescente ballottée de fugue en fugue, d'homme en homme, puisque tout vaut mieux que le triste foyer familial. Jeune provinciale qui monte à Paris et frôle la catastrophe.

TELERAMA
Marcel Proust avait sa théorie des « moi » successifs : les personnes différentes, étrangères les unes aux autres, que nous devenons, au cours de notre vie. Il y a une idée de cet ordre dans le pari d'Arnaud des Pallières : restituer les métamorphoses d'une femme en la faisant jouer, tour à tour, par quatre actrices. On découvre l'héroïne presque trentenaire (Adèle Haenel). Puis on remonte le temps. On la voit à 20 ans (Adèle Exarchopoulos), jeune adolescente (Solène Rigot) et finalement enfant (Vega Cuzytek).

Le réalisateur de Michael Kohlhaas (adaptation de Kleist avec Mads Mikkelsen, en 2013) vient du documentaire de création. Depuis Drancy Avenir (son premier long métrage, en 1996), ses films sont conçus comme des expériences. Orpheline n'a donc rien à voir avec ces fictions en plusieurs époques où l'on vieillit peu à peu le comédien. C'est moins le changement physique qui intéresse le cinéaste (trois des interprètes sont, en fait, très proches en âge) que la captation, à chaque étape, d'une nouvelle personnalité, d'un autre rapport au monde. En ce sens, la démarche rappellerait plutôt I'm not there (2007), où Todd Haynes faisait jouer Bob Dylan par six acteurs différents (dont Cate Blanchett...).

L'unité secrète du portrait, au-delà des changements de visage (et même de prénom !) tient à une mise en scène qui, chez Arnaud des Pallières, n'avait jamais atteint un tel degré d'incarnation. Aucune des quatre actrices n'est moins captivante que les autres. Leur éclat et l'acuité du regard porté sur elles assurent une continuité. Et le scénario puise dans l'histoire personnelle de la coscénariste, Christelle Berthevas, fil conducteur intime et singulier. Enfant, l'héroïne est le témoin muet d'un drame qui la coupe symboliquement de sa famille et en fait cette « orpheline » des périodes suivantes. Le récit ne perd en intensité que dans les méandres amenés par le fait divers : à 20 ans, la jeune femme est mêlée à une affaire criminelle.

Le plus beau, le plus troublant restent la demande d'amour immense, à la fois pathétique et motrice, qui taraude le personnage. Un puits sans fond, qui la fait se jeter dans les bras et le lit des hommes dès l'adolescence, quitte à les effaroucher où à en faire des pères de substitution — plusieurs belles scènes sur ce thème. Cette demande compulsive devient un danger pour l'héroïne au moment d'assurer sa subsistance, de se construire. Dès lors, le suspense final, où on la retrouve adulte, comme au tout début, porte moins sur les suites du dossier judiciaire que sur la possibilité d'une indépendance, enfin. — Louis Guichard