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RIEN SUR ROBERT, Pascal Bonitzer 1999, Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain (sentimental)@@



RIEN SUR ROBERT, Pascal Bonitzer 1999, Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain (sentimental)@@
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RIEN SUR ROBERT, Pascal Bonitzer 1999, Fabrice Luchini, Sandrine Kiberlain (sentimental)@@ ()

A la suite d'une critique qu'il n'aurait pas du écrire sur un film bosniaque qu'il n'a pas vu et d'une dispute avec son amie Juliette, Didier va voir sa vie changer et ses repères s'effondrer. Juliette le quitte pour un autre. Il rencontre une jeune fille étrange, Aurélie, ainsi qu'un certain Jérôme, qui est peut-être son double. Au bout du chemin, il lui faudra découvrir qu'on n'écrit pas et qu'on n'aime pas impunément.

TELERAMA
Un petit marquis de la littérature subit les pires humiliations. Portée par ses acteurs, une comédie inégale de Pascal Bonitzer.

Personne ne s’appelle Robert dans le deuxième opus de Pascal Bonitzer. Le prénom renvoie à une réplique furtive, hors intrigue, balancée négligemment à propos du poète Robert Desnos dans une librairie parisienne. Il n’est pas interdit, toutefois, de faire parler ce titre qui met un point d’honneur (très chic) à ne rien vouloir dire. D’une part, le film, plutôt comique, évoque de très loin Desnos, par ses embardées surréalistes, ses accès oniriques ou cauchemardesques. D’autre part, s’il n’y a rien sur Robert dans la librairie précitée, on peut présumer qu’il n’y aura jamais rien non plus sur Didier (Fabrice Luchini) : c’est un auteur très mineur, un vulgaire critique. C’est surtout un péremptoire, un malhonnête, capable de publier dans la revue littéraire où il officie une tribune sur un film (bosniaque) qu’il n’a même pas vu.

Cette faute déontologique avérée lance efficacement le récit (quelles conséquences va-t-elle entraîner dans la vie de Didier ?), mais en préfigure aussi les limites. À l’aune de cette « bourde » inaugurale, Didier ne pourra jamais inspirer ni compassion ni empathie. Le plaisir du film consistera à suivre, à bonne distance, le spectacle des épreuves humiliantes et expiatoires que le brillant scénariste Bonitzer a concocté pour rabattre le caquet à son petit marquis et, peut-être, le sauver. Bien entendu, une part de ce plaisir vient de ce que Didier est incarné par Luchini le disert, contraint, pour une fois, d’encaisser, de subir, pire, de se taire.
Il faut le voir s’enfoncer dans la spirale paranoïaque qu’il creuse au fur et à mesure, suscitant par son attitude même les « gifles » que son entourage ne manque pas de lui administrer. Ce sont les scènes cruelles et crues que lui fait sa fiancée Juliette (Sandrine Kiberlain, ahurissante d’aplomb), dure comme un caillou, prompte à lui raconter de manière hyperréaliste ses expérimentations sexuelles avec un autre. C’est encore un dîner, à la lisière du fantastique, où un Michel Piccoli déchaîné lui inflige une déculottée verbale et publique mémorable. Et ainsi de suite.

Que les acteurs sont bons !
Plus proche, alors, par ses bouffées délirantes, de Raul Ruiz (dont il a été le scénariste) que de son premier film, Encore, Bonitzer semble parti pour accomplir, en zigzag mais sans mollir, le programme d’exécution-rédemption de son personnage. Au passage, les patronymes des protagonistes de ce jeu de piste annoncent la couleur. On croise un Jérôme Sauveur, une Violaine Rachat… Mais un autre sujet vient peu à peu se greffer sur le premier et, finalement, prendre le dessus, au risque de gripper la machine comique : une sorte de modélisation anthropologique des rapports amoureux. En gros, une loi du triangle ­ pas proprement révolutionnaire ­ qui fait qu’on n’aime vraiment sa (ou son) partenaire que quand elle (ou il) vous nargue avec un tiers, votre rival(e), donc.

Sous ces auspices, Bonitzer organise un marivaudage inégal entre le sixième arrondissement et un chalet des Alpes, entre Didier et Juliette d’un côté et, de l’autre, leurs rivaux respectifs. Didier fricote, à ses risques et périls, avec Aurélie, une suicidaire énamourée, aussi fragile que Juliette est forte. Juliette agite successivement deux « chiffons rouges » : elle couche d’abord avec un réalisateur télé (un effroyable plouc aux yeux du snob Didier), puis menace d’en faire autant avec Jérôme Sauveur, plumitif en vogue dont l’aura et l’élégance mortifient Didier. C’est drôle et vachard mais aussi un peu mécanique, tant la théorie semble précéder l’action.

De tout cela, il ressort que le comble de l’héroïsme consiste pour Didier, et semble-t-il pour Pascal Bonitzer, à avouer enfin à une maîtresse faire-valoir qu’on ne l'« aime » pas… Il reste une comédie hétérogène, parisienne en diable, émaillée de saillies pertinentes et jubilatoires. Une demi-réussite, peut-être, mais où les défaillances sont compensées par les prestations exceptionnelles des acteurs et par l’ambition propre à Bonitzer de sonder une parcelle, si exiguë soit-elle, du désordre psychologique contemporain.


(edit IPTC)