LES MYSTERIEUSES AVENTURES DE CLAUDE CONSEIL, Marie-Lola Terver et Paul Jousselin 2023 ()
Claude Conseil vit une retraite paisible avec son mari dans une maison au milieu des bois. Elle occupe son temps à écouter et enregistrer les oiseaux. Un soir de printemps, d'incessants et énigmatiques appels viennent rompre le calme de la forêt.
TELERAMA
Quelle fieffée chipie, cette grive silencieuse ! Quand ce coquin corbeau s’époumonne à côté. Et le maudit avion qui s’invite au concert. Alimenter une chaîne YouTube de chants d’oiseaux n’est pas une sinécure. C’est pourtant avec passion et acharnement que Claude Conseil et son mari, qui s’appelle lui aussi Claude Conseil, s’échinent à enregistrer la diversité des doux pépiements de volatiles, de l’aube au crépuscule.
Jusqu’au jour où l’épouse reçoit de troublants appels sur son téléphone portable. Quel est donc ce « flow » dont on lui parle ? Et ce mystérieux « twerk » ? Et cet odieux garçon (savoureux Raphaël Quenard), qui profère des insanités sur son répondeur, comme en recevait jadis la pauvre Thérèse du Père Noël est une ordure ? Claude Conseil mène l’enquête, puisqu’on lui parle d’une certaine « Leys ». Une rappeuse très populaire – finaliste, dans la vraie vie, du télécrochet Nouvelle École sur Netflix – qui, dans son dernier clip, prononce, sans le savoir, le numéro de la pauvre Claude Conseil…
Dans ce film bourré d’inventivité et de drôlerie sur l’incompréhension sémantique générationnelle, où les chasseurs sont régulièrement poursuivis par une biche, Marie-Lola Terver et Paul Jousselin parviennent à célébrer le mariage de la carpe et du lapin en faisant dialoguer deux univers que tout oppose : le rap et l’ornithologie. Et si le chant du rougequeue noir était le prochain tube de l’été ?
Entretien avec les réalisateurs, Marie-Lola Terver et Paul Jousselin
Marie-Lola Terver et Paul Jousselin font dialoguer avec humour deux univers que tout oppose.
Marie-Lola Terver et Paul Jousselin font dialoguer avec humour deux univers que tout oppose. Gabriel Renault pour le Fifib
Qui êtes-vous ?
Paul & Marie-Lola : Nous sommes Marie-Lola Terver et Paul Jousselin, nous comptabilisons 66 ans, un nombre à 2/3 diabolique, et à 6/11 du fait de Paul. Quelqu’un nous a récemment comparé à Shirley et Dino, nous avons pris ça pour un beau compliment. Nous avons comme points communs de vouloir devenir détectives animalier, de ne pas savoir prendre la parole en public et d’aimer la numérologie.
Votre parcours avant ce film ?
Paul & Marie-Lola : Lola est née et a grandi à Clermont-Ferrand – c’est dit –, empoché un bac S, est « montée à Paris », échoué une prépa littéraire, tenté une fac de cinéma, fait un passage plutôt rapide à l’Ensav à Toulouse, puis commencé à bosser sur les tournages. D’abord à la régie, puis à la mise en scène et enfin aux costumes. En parallèle, elle a continué à écrire des films. Paul est né à Paris, il est entré à la Fémis en section son en 2008, dont il sort diplômé et heureux de l’être. Il vit de montage son et de mixage de films, beaucoup de courts métrages mais aussi quelques longs. En revanche, rien de tout cela ne lui a permis de passer à la télé, aussi songe-t-il souvent à changer de voie.
Pourquoi ce court aujourd’hui ?
Paul & Marie-Lola : Ce film est né pendant le confinement, où nous étions réfugiés dans le Livradois Forez, en Auvergne. Paul découvrait la nature qui s’éveillait au printemps, Lola découvrait le rap féminin, nous rencontrions un rougequeue noir qui chaque heure chantait son « cccrrgrgrgrgrgr tu-tu-tu-tu-tu » ; sûrement avait-il quelque-chose à nous dire. On se découvrait aussi l’un et l’autre et on avait envie d’écrire ensemble, une comédie, un film joyeux et doux, pour se faire du bien dans cette période anxiogène – qui hélas ne semble pas vouloir se terminer. C’était un désir de créer un endroit, sans doute utopique, où écoute, bienveillance, sororité seraient les mots d’ordre et où, de fait, tout irait un peu mieux… Le film est un conte léger, poétique, rassurant et absurde qui répond à l’envie d’un cinéma qu’on souhaiterait voir plus. Un cinéma enchanté qui nous ouvre à une plus grande écoute du monde et des autres. Aussi et surtout, Paul rêvait de réaliser un clip de rap.
Citez trois cinéastes ou trois films qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?
Marie-Lola : C’est vraiment très difficile de n’en choisir que trois, je suis Balance et tout le monde sait que les Balance ne savent pas choisir. Évidemment, il y a Jacques Demy en première position. J’ai été biberonnée à ses films et ils m’enchantent toujours autant. Il faut aussi avouer que j’ai développé une obsession étrange pour Jacques Perrin, marin et prince, qui m’a clairement motivée pour faire du cinéma (idem pour Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill…). Un peu plus tard dans ma cinéphilie, Éric Rohmer a beaucoup compté. J’ai découvert une manière d’écrire et de mettre en scène qui m’a fascinée. Plus récemment, nous avons découvert Kelly Reichardt. Ç’a été une révélation. First Cow est une référence centrale pour Claude Conseil. Il y a tant de précision, de beauté, d’intelligence et de douceur dans ses
Mais c’est terrible de ne pas citer Nanni Moretti et Alice Rohrwacher parce qu’iels sont italien.e.s, et hilarant.e.s et que je les aime et que leurs films (me) font énormément de bien.
Paul : S’il faut dire un film, peut-être le premier pour lequel j’ai travaillé, Aïda ou la méchante vie, un court métrage réalisé par trois étudiantes ; c’était en 2007 et à l’époque je composais de la musique électro-acoustique. J’ai eu envie de faire du cinéma en pratiquant le son et la musique. Je n’avais pas encore beaucoup de références. Il y a un film que je ne porte plus dans mon cœur mais qui m’a marqué adolescent : C’est arrivé près de chez vous. Sûrement parce qu’il est drôle, terrifiant, politique, qu’il parle de faire des films, de faire ensemble et qu’il m’avait marqué formellement. Pas grand-chose à voir avec Claude Conseil. Aujourd’hui, je suis plutôt Antoinette dans les Cévennes. Si nous devions choisir un film ensemble, nous citerions Babe, le cochon devenu berger. Génial.
Au lycée on séchait les cours pour aller voir des films.
Marie-Lola
Quelle est votre profession, court-métragiste ?
Paul & Marie-Lola : Hélas, si court-métragiste était une vraie profession, ce serait un rêve. Mais pour payer nos vies respectives de court-métragistes, nous sommes aussi technicien.ne.s du cinéma et donc télévisiongistes et long-métragistes. Paul est mixeur et Marie-Lola est costumière. Même s’ il est parfois difficile de s’organiser, nous pensons que ces activités ne sont pas incompatibles, au contraire. On s’ouvre à d’autres cinémas, d’autres univers, on fait face à des histoires, des problématiques différentes, d’autres réalisateur.trices, d’autres méthodes de travail. C’est très enrichissant. Par exemple, contre toute attente, Lola a été récemment cheffe costumière sur un film d’horreur à propos d’une invasion d’araignées dans une cité [Vermines, de Sébastien Vanicek], tandis que Paul planchait sur le son d’un très beau film d’amour entre deux réfugiés à Beyrouth, Dirty Difficult Dangerous, de Wissam Charaf dont il a eu la chance de faire le mixage. Heureusement nous aimons débriefer le soir autour d’une bonne truffade.
Après le court, forcément le long ?
Paul & Marie-Lola : Une amie réalisatrice nous a dit de toujours répondre à cette question par « on réfléchit ». Nous réfléchissons donc, mais ce serait vraiment fabuleux. On a quelques idées, pour l’instant elles ressemblent surtout à des playlists de chansons françaises. La route est longue (déjà qu’on a passé une semaine entière sur ce questionnaire).
Votre histoire avec Clermont ? (déjà venu ? première fois ? anecdotes croustillantes ?)
Marie-Lola : Je suis née et j’ai grandi à Clermont, donc autant vous dire que ce n’est pas ma première fois et que j’ai un tas d’anecdotes croustillantes sur le festival et sur Clermont en général qui a connu toutes les frasques de mon adolescence. J’ai été jury jeune en 2013, nous avions récompensé un film qui avait eu également le prix Télérama : Peine perdue, d’Arthur Harari (génial, comme la suite de sa carrière). Au festival, j’y vais depuis toute petite, dès l’école en séances scolaires. Au lycée on séchait les cours pour aller voir des films avec mes copines. Vous pouvez donc imaginer la fierté et la joie d’être projetée ici… Une anecdote : à l’époque où il y avait des boîtes aux lettres avec des numéros pour tous les accrédités, je m’amusais à glisser des notes anonymes ou je proposais un rendez-vous entre deux numéros aléatoires. J’espère que des gens se sont rencontrés comme ça… Je me prenais pour « le corbeau » du cinéma.
Paul : Je suis allé au festival pour la première fois en 2020 avec Lola, c’est aussi là que j’ai rencontré ses parents. Je ne pensais pas que c’était un rendez-vous aussi familial et j’ai été saisi par l’engouement de la ville pour cet événement. Ne vous étonnez pas cette année de voir une femme avec des flyers de Claude Conseil et ressemblant à Lola vous offrir des cadeaux en échange de vos votes… Merci Florence !
Je suis toujours impressionnée quand les réalisateur.trices de courts métrages arrivent à me procurer des émotions aussi fortes en si peu de temps.
Marie-Lola
Le meilleur court métrage de ces dix dernières années ?
Marie-Lola : Dur de choisir… j’ai vu tellement d’excellents courts métrages. Je suis toujours impressionnée quand les réalisateur.trices arrivent à me procurer des émotions aussi fortes en si peu de temps. Je peux peut être citer Ton cœur au hasard, d’Aude Léa Rapin, le Grand Prix de Clermont d’il y a quelques années. Je me souviens qu’on était avec des ami.e.s et on avait littéralement passé la nuit à en discuter. Sinon récemment j’ai vu Le Marin masqué, de Sophie Letourneur ; j’ai adoré, même si ça a plus de dix ans. Aussi tous les films que produit notre productrice Dorothée Levesque, qui a très bon goût en matière de cinéma.
Paul : Pareil c’est très dur de choisir, surtout que j’ai travaillé sur beaucoup de très bons films et je ne voudrais pas en choisir un. Comme Lola, je soutiens notre productrice Dorothée. D’ailleurs, elle est aussi comédienne dans un super film de Paul Nouhet, Les Méduses de Gouville, que je vous conseille.
Le meilleur court métrage de tous les temps ?
Marie-Lola : Dans l’impossibilité de répondre à cette question (toujours cette affaire de choix), je vais dire la bande annonce d’On connaît la chanson, d’Alain Resnais, juste parce que voir Bacri dire « zaï zaï zaï zaï » d’un air excédé me met toujours en joie.
Paul : Forbach, de Claire Burger, un film de fin d’études réalisé à la Fémis, qu’on nous avait présenté le jour de la rentrée (il n’avait pas encore eu le Grand Prix ici). C’était à la fois une émotion très forte de cinéma, et la promesse d’un jour y participer.