LE PIGEON, Mario Monicelli 1958, Vittorio Gassman, Marcello Mastroiani, Renato Salvatori, Claudia Cardinale (societe)@@@ ()
A cause d'un vol de voiture minable, Cosimo doit à nouveau passer par la case prison. Histoire de se tirer de ce mauvais pas, le truand est prêt à payer un pigeon, qui s'accusera à sa place. Les copains de Cosimo cherchent et trouvent Peppe. Blanchi par la police qui ne croit pas à sa culpabilité, Peppe va reprendre à son compte un gros coup que préparait Cosimo : cambrioler le Mont-de-Piété.
TELERAMA
Peppe, ancien boxeur, organise le casse d’un mont-de-piété avec Tiberio, photographe au chômage, Mario, petit receleur, Michele le Sicilien et Capannelle, ancien jockey. Dante, cambrioleur à la retraite, leur sert de conseiller technique…
Clowns magnifiques et piteux, ces personnages se débattent frénétiquement dans la misère d’une Italie en ruine. Ils organisent un échec flamboyant, comme on se crée des lettres de noblesse. Leur maladresse touche au grandiose. Le réalisateur évoque tout un petit peuple démuni et bourdonnant. Moins cruelle qu’Il bidone ou I vitelloni, satires réalisées par Federico Fellini quelques années auparavant, la farce dénonce avec un humour tendre et corrosif la marginalité qu’entraîne le chômage. Lorsque Peppe tente de se faire embaucher sur un chantier, un de ses compères le menace : « Ils te feront travailler, tu sais… » Génie de la dérision, Mario Monicelli revisite les grands thèmes néoréalistes sur le ton d’une extraordinaire comédie, servie par des comédiens exceptionnels.
Cosimo, un petit caïd de banlieue, est en prison pour un minable vol de voiture. Il obtient de Peppe, un boxeur raté, qu'il s'accuse à sa place, moyennant une juste rétribution. La police ne croit pas à la culpabilité de Peppe et le relâche bientôt. Cosimo, toutefois, a le temps de lui confier son projet : rien moins que le cambriolage d'un mont-de-piété. Peppe décide de reprendre l'opération à son compte et s'entoure d'une bande d'épaves désenchantées, dont Mario, un petit receleur, Tiberio, un photographe au chômage, et Michel, un ombrageux Sicilien...
Avec sa bande de pieds nickelés engagés dans un casse improbable, Monicelli signe en 1958 “un film fondamental dans une époque charnière”, selon l’historien spécialiste du cinéma Jean A. Gili. Une œuvre entre farce et tragédie,
A-t-on raison de faire du Pigeon le film matriciel de la comédie à l’italienne ? D’ailleurs, doit-on dire comédie italienne ou comédie à l’italienne ?
Ce dernier point se discute. Si l’on enlève le caractère vaguement péjoratif que l’on accole à « comédie à l’italienne », cette dénomination est juste. Il y a une spécificité de la comédie à l’italienne. Et il y a une origine : 1945, la fin de la guerre et du fascisme, le retour à plus de liberté pour les cinéastes, malgré une censure encore forte, et l’apparition du mouvement néoréaliste avec des films comme Rome, ville ouverte, Le Voleur de bicyclette, La Terre tremble et Riz amer. Dans ce sillage existent déjà des comédies graves dont Vivre en paix et L’Honorable Angelina, de Luigi Zampa, tous deux réalisés en 1947. Assez vite, les drames purs s’épuisant, les comédies vont récupérer l’héritage du néoréalisme, avec sa précision topographique et sociale.
Le Pigeon, réalisé en 1958, s’inscrit dans cette continuité mais il fixe les choses de manière plus claire. Mario Monicelli disait qu’il mélangeait la farce et la tragédie. Les personnages du Pigeon sont de pauvres diables qui se lancent dans une entreprise outrepassant leurs capacités et qui va mal tourner. Tout l’art des auteurs, et non des moindres puisqu’il s’agit d’Age et Scarpelli et de Suso Cecchi D’Amico, scénariste de Luchino Visconti, est de faire de cette histoire dramatique une comédie. L’originalité est d’avoir mêlé l’emblème de la comédie italienne, Totò, aux acteurs de la nouvelle génération : Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori, Claudia Cardinale.
Monicelli ne s’interdit rien : il plonge ses personnages naturellement drôles dans des scènes tragiques, comme lorsque l’un des protagonistes meurt, écrasé par un tramway. Le choix des décors naturels est aussi significatif. Le chef opérateur Gianni Di Venanzo filme, dans un superbe noir et blanc, une Rome pauvre, périphérique, avec des chantiers de construction, qui témoignent du boom immobilier. Mais l’humour est présent jusqu’à la fin, avec l’erreur de percement d’une cuisine et non d’un coffre-fort qui aboutit à la dégustation de nouilles aux pois chiches. Le Pigeon est un film fondamental dans une époque charnière. Peu après, Monicelli réalisera deux œuvres encore plus radicales par leur mélange des genres : La Grande Guerre (1959) et Les Camarades (1963).
Ce que l’on ressent, à travers l’exigence de Monicelli, c’est l’absence de mépris envers la comédie en tant que telle…
Oui ! L’équipe technique du Pigeon en témoigne : le chef décorateur a travaillé pour Fellini, le compositeur fait une remarquable partition imprégnée de jazz. Il y a, au fond, une grande porosité dans le cinéma italien de l’époque. Pour ces artistes, il n’y a pas de série A ou de série B qui vaille…
Acteurs emblématiques de la comédie à l’italienne, Alberto Sordi, Vittorio Gassman, Nino Manfredi, Ugo Tognazzi et Marcello Mastroianni étaient-ils interchangeables ou se voyaient-ils attribuer des rôles spécifiques ?
A priori, ils étaient des caméléons qui pouvaient tenir tous les rôles. Cela dit, ils avaient des spécificités. La plus évidente les ramenait à leurs origines géographiques et dialectales. Manfredi et Mastroianni étaient des méridionaux ; Tognazzi, un homme du nord de l’Italie ; Gassman, un Génois devenu romain mais interprétant, parfois, un Italien du Nord. Le plus facile à définir, c’était Sordi, incarnation du Romain arriviste et débrouillard. Gassman occupait davantage le registre du hâbleur, matamore. Mastroianni débordait du cadre. Son personnage élégant, opaque, pouvait l’entraîner loin de la comédie.
Très peu d’actrices ont illustré le genre. Pourquoi ?
Les auteurs eux-mêmes l’on dit : c’était un genre d’hommes, avec des situations écrites pour des hommes. Les scénaristes ne se posaient pas, alors, la question de la parité. Dino Risi, dans sa série des Pauvres mais beaux (1956), a peut-être accordé un peu plus de place aux femmes. Mais la seule à s’être imposée dans ce registre, c’est Monica Vitti, après sa période Antonioni. Drame de la jalousie, d’Ettore Scola (1970), a marqué pour elle un tournant décisif.
Les Nouveaux Monstres, en 1977, est-il, comme on l’a écrit, le bouquet final de la comédie à l’italienne ?
Là encore il s’agit d’une borne pratique, parce que ce film réunit Sordi, Gassman, Tognazzi, qu’il est réalisé par Monicelli, Risi, Scola, et que le dernier sketch raconte l’enterrement d’un comédien. En même temps, il correspond à la fin d’une époque et d’une conjonction extraordinaire de talents. C’est ce qui a fait la force des comédies italiennes : la réunion miraculeuse de bons cinéastes, scénaristes et acteurs. De ce point de vue, Les Nouveaux Monstres est bien un chant du cygne…