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ABUS DE FAIBLESSE, Catherine Breillat 2013, Isabelle Huppert, Kool Shen (sante)@@



ABUS DE FAIBLESSE, Catherine Breillat 2013, Isabelle Huppert, Kool Shen (sante)@@
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ABUS DE FAIBLESSE, Catherine Breillat 2013, Isabelle Huppert, Kool Shen sante)@@ ()

Maud, cinéaste, est victime d'un AVC qui la laisse hémiplégique. Elle lutte pour ne pas sombrer. Un soir, alors qu'elle regarde une émission à la télévision, elle est fascinée par Vilko, un escroc qui pérore et parle de ses expériences. Elle décide de l'embaucher pour tenir le rôle principal de son nouveau film. D'abord réticent, Vilko accepte. Dès lors, se noue une relation étrange entre l'intellectuelle affaiblie et le jeune homme.

TELERAMA
Avec un art de l’abstraction bien à elle, Catherine Breillat stylise la terrifiante histoire d’emprise et d'escroquerie dont elle-même fut victime.

C'est l'affaire Sarkozy-Bettencourt qui a placé récemment la notion d'abus de faiblesse au centre de l'actualité. L'histoire vraie de Catherine Breillat a fait moins de bruit, mais elle est plus mystérieuse. La réalisatrice de Romance et 36 Fillette, restée hémiplégique après un accident vasculaire cérébral en 2005, s'est laissé déposséder d'une grande partie de son argent par Christophe Rocancourt, surnommé « l'arnaqueur de Hollywood », qu'elle voulait engager comme acteur - pour jouer un salaud. Même affaiblie et malade, elle restait le plus souvent consciente du montant astronomique des chèques qu'il lui réclamait et de la ruine qui la guettait.

Le film explore cette emprise étrange sans l'analyser, en exposant les faits depuis leur origine : l'hémorragie cérébrale, la rééducation, le retour vaille que vaille à l'activité créatrice. Maud, le double fictionnel de la cinéaste, n'est pas une douce. Encore convalescente, elle ricane, rudoie ses proches, tyrannise son assistant et veille aux moindres détails de sa nouvelle vie : « Quand on est handicapée, il faut un look SM ! » Sado et maso : la dualité au centre de la filmographie de Catherine Breillat culmine avec cette relation inconfortable, teintée de honte, entre Maud et Vilko, escroc à la présence animale. Il apporte la vie, l'appétit, le frisson, mais aussi la vulgarité, le vide, parfois la violence. Elle le valorise en le choisissant, mais elle le renvoie en même temps à ses limites intellectuelles.

Il manque, certes, au film du récit et de la chair : Catherine Breillat a toujours pratiqué un cinéma un peu abstrait. On comprend mal, par exemple, pourquoi il est si peu question du projet auquel Maud et Vilko sont supposés travailler : ils semblent se voir pour parler de tout et de rien, et pour qu'elle lui signe des chèques. Mais quand cette abstraction se radicalise, Abus de faiblesse se hisse à un tout autre niveau, flirte avec le fantastique et l'absurde. Maud s'installe dans une maison en chantier, pleine de cartons poussiéreux. Vilko l'y rejoint et dort dans un vieux lit d'enfant... Un petit monde clos et délabré qui figure leur dépendance mutuelle et sans issue, un décor mental digne de Bug, le chef-d'oeuvre de William Friedkin sur la folie et l'enfermement.

Kool Shen n'a rien à envier à Joey Starr, son ex-moitié rap de NTM : il sait être à la fois charmeur et effrayant en Narcisse sous pression. Isabelle Huppert, qui fut pressentie jadis par la cinéaste pour Parfait Amour !, accomplit, elle, un nouveau tour de force. Infirmité, froideur et ironie : elle crée un personnage hybride et fascinant, empruntant autant aux traits de caractère qu'on lui prête qu'à la gestuelle de Catherine Breillat. Elle exprime la douleur, mais sans la complaisance. Et retrouve, pour un finale magistral, les cimes sublimes où elle s'élevait parfois avec Claude Chabrol. Toutes les héroïnes de Breillat sont des guerrières, des survivantes. Celle-ci, un peu moins triomphante que d'autres, finit quand même par nous regarder droit dans les yeux.


(edit IPTC)