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NOS FRANGINS, Rachid Bouchareb 2022, Reda Kateb, Lyna Khoudri (societe)@@

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La nuit entre le 5 et le 6 décembre 1986, Malik Oussekine, étudiant de vingt-deux ans, est mort à la suite d'une intervention de la police, alors que Paris était secoué par des manifestations estudiantines contre une nouvelle réforme de l'éducation. Le ministère de l'intérieur est d'autant plus enclin à étouffer cette affaire, qu'un autre français d'origine algérienne a été tué la même nuit par un officier de police.

TELERAMA
Le meurtre d’un jeune d’origine algérienne par un policier, la même nuit que la mort de Malik Oussekine.... L’autopsie sidérante d’une colère.
Bien malgré lui, Malik Oussekine fait partie de l’Histoire. Et tous ceux qui, de près ou de loin, ont vécu le mouvement de 1986 contre la loi Devaquet et la mort de ce garçon doux, à la suite de violences policières, retiendront à jamais son nom. Mais qui se souvient d’Abdel Benyahia ? Ce jeune Français de 20 ans est décédé la même nuit que Malik, à Pantin, à la suite d’une bavure — le policier, ivre, qui lui a tiré dessus à bout portant, n’était pas en service. Mettre en lumière ce drame étouffé à l’époque et le relier à l’autre, retentissant, voilà la force de Nos frangins, reconstitution bouleversante de ces événements.

C’est un inspecteur de l’IGS (la police des polices), qui fait le lien entre ces deux affaires. Personnage créé de toutes pièces, Mattei (Raphaël Personnaz) enquête pour en savoir plus sur Malik et doit retarder l’annonce du décès d’Abdel. Il paraît lui-même accablé par cette lourde tâche, on dirait un revenant ou un messager de la mort, complice du mal malgré lui. Entre passages à la morgue, commissariat et bureaux sinistres, l’ambiance générale du film est funèbre et le récit, volontairement éclaté. Le déroulé exact de la nuit du 5 au 6 novembre 1986 se fait en plusieurs étapes, incluant des allers-retours dans le temps.

Rachid Bouchareb, réalisateur de “Nos frangins” : “Le cinéma permet le concret, le public peut s’emparer du film et débattre”

Les deux martyrs ont des points communs, notamment leur origine algérienne. Mais leurs familles respectives diffèrent beaucoup. Celle de Malik est un cas parfait d’intégration. Le grand frère, Mohammed (Reda Kateb), tiré à quatre épingles, gagne bien sa vie, connaît ses droits. Sa sœur, Sarah (Lyna Khoudri), vit avec un policier. Des citoyens français modèles. C’est vrai aussi de Malik, l’étudiant, qui se trouvait au Quartier latin la nuit du 5 au 6 décembre, sans lien avec les événements. Et dont on apprend qu’il voulait se convertir au catholicisme et devenir prêtre. Abdel, lui, vient de la banlieue, appartient à la classe laborieuse et humble. Son père (Samir Guesmi, émouvant, en homme pétrifié dans sa retenue) travaille dur comme garagiste. Il fait partie de cette génération d’immigrés qui cherche à passer inaperçue, et rase les murs. Il ne maîtrise pas totalement le français, il soupçonne qu’on lui cache quelque chose, mais courbe l’échine.

Difficile de ne pas être en colère
Pour mettre en perspective les destins parallèles de ces deux familles, Rachid Bouchareb et Kaouther Adimi (coscénariste) ont eu la bonne idée d’intégrer un grand nombre d’images d’archives, certaines connues. En les utilisant comme des éléments dramatiques à part entière, à même d’éclairer et de faire avancer l’action. Ce sont des bouffées de souvenirs qui remontent alors. En vrac : Noël Mamère au JT, les « voltigeurs », motocyclistes tabassant les passants, le discours de Charles Pasqua (« Gauchistes et anarchistes de tout poil et de toutes nationalités…  »), François Mitterrand se rendant auprès de la famille Oussekine, les manifestations d’ampleur nationale, le commentaire consternant de Robert Pandraud, ministre délégué à la sécurité (« Si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con la nuit »), le témoignage décisif d’un habitant de l’immeuble, au 20 de la rue Monsieur-le-Prince…

Difficile de ne pas être en colère. Surtout lorsque Rachid Bouchareb fait résonner Mala vida, le titre de la Mano Negra, raccord avec la contestation de cette époque. Nos frangins suggère que des problèmes demeurent, hélas, qu’une partie de la jeunesse d’aujourd’hui est toujours sacrifiée. Dépositaire d’une mémoire collective, le film reste néanmoins toujours digne, dans une forme de recueillement. Un slogan fort, entraperçu sur une banderole d’époque, le résume très bien : « Le chagrin et la fierté ».