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LES BIEN AIMES, Christophe Honoré 2011, Chiara Mastroianni, Catherine Deneuve (sentimental musical)@@

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Du Paris des sixties au Londres des années 2000, Madeleine, puis sa fille Véra vont et viennent autour des hommes qu'elles aiment. Mais toutes les époques ne permettent pas de vivre l'amour avec légèreté. Comment résister au temps qui passe et qui s'attaque à nos sentiments les plus profonds ?

TELERAMA
Des années 1960 aux années 2000, entre Paris, Prague et Londres, les destinées sentimentales d’une mère (Ludivine Sagnier et Catherine Deneuve), pionnière de la légèreté, et de sa fille (Chiara Mastroianni), héritière malheureuse de la liberté sexuelle. Le film le plus romanesque de Christophe Honoré.

Que faisiez-vous le 11 septembre 2001 ? Parmi les grandes scènes du nouveau film de Christophe Honoré, il y a celles où l'héroïne, Véra (Chiara Mastroianni), à la poursuite d'un amour impossible, échoue ce jour-là, non pas à New York mais à Montréal, pour cause d'avion dérouté. L'épisode est stupéfiant, n'en citons qu'un détail : descendue au milieu de la nuit au bar de son hôtel, confrontée aux images en boucle de l'effondrement des tours, la jeune femme demande s'il est possible de « changer de chaîne », comme si elle voulait zapper la catastrophe, qui encombre ses propres tourments...

Il y a sans doute quelque chose de scandaleux dans l'égoïsme des personnages que met en scène Honoré depuis Dans Paris : obsédés par quelqu'un qui leur échappe ou qu'ils ont perdu, ils ne veulent rien (sa)voir d'autre. Ce « scandale », aussi vieux que le sentiment amoureux, le cinéaste l'a toujours assumé pleinement, zappant lui aussi les sujets de société. Il en a tiré des merveilles de lyrisme acidulé – voir La Belle Personne et évidemment Les Chansons d'amour. Avec Les Bien-Aimés, il s'agit d'autre chose. On discerne toutes les fêlures que cache l'égoïsme des amoureux, cette fois rattrapés par le monde et par le temps : l'histoire court, chronologiquement, de 1963 à 2008.

En faisant défiler les époques, Honoré dessine des lignes de vie croisées, parallèles ou brisées, et fait apercevoir un drôle de gouffre entre les générations. C'est dans la durée que le film prend toute sa force. La première période, consacrée à la mère (Ludivine Sagnier pour les années 1960-1970, puis Catherine Deneuve), peut ainsi apparaître comme un prologue charmant. Il faut que les destins s'esquissent : en pionnière de la légèreté, la mère saura s'inventer une vie de retrouvailles avec son amour contrarié, intermittent (Milos Forman), n'hésitant pas à se marier avec un autre (Michel Delpech). Tandis que sa fille, héritière fêtarde de la liberté sexuelle, sans attaches ni contraintes, s'épuisera à vouloir quelqu'un qui la rejette.

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Si destinées il y a, le cinéma d'Honoré reste heureusement celui des instants : disjoints, distendus, suspendus. Le tragique de l'existence a l'élégance de se laisser lire en filigrane, à travers les multiples citations – Demy, Truffaut, Buñuel, Ophuls. Et plus encore à travers les chansons originales d'Alex Beaupain. Elles explorent de façon radieuse tout un nuancier de sentiments déchirants – le dégrisement de la fin de la jeunesse, des abîmes de solitude... Mais aussi les contradictions que recèle chacun de ces sentiments.

C'est curieux comme un être peut régner sur toute notre vie, dit en substance Deneuve, au moment du bilan. Voilà une définition possible du (de la) bien-aimé(e). Chacun(e) a le sien ou la sienne, pour le meilleur ou pour le pire. Toute à sa passion impossible, Véra laisse éternellement mariner un collègue (Louis Garrel) qui l'a élue, elle, mais en qui elle ne voit qu'un ami de beuverie, voire un cousin du désespoir. Chaque personnage se retrouve, tôt ou tard, seul à chanter dans les rues sa hantise amoureuse, qui est à la fois un poison et une raison de vivre. Un pays perdu et nécessaire. On peut vivre sans l'autre, mais on ne peut vivre sans l'aimer, telle est la morale de ce magnifique traité du manque.