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pessoa - Poesies d Alvaro de Campos (poesie) 1914 (portugal)


Fernando

Tout seul, sur le quai désert, dans ce matin d’Eté,
Je regarde du côté de la barre, je regarde vers l’Indéfini,
Je regarde et il me satisfait de voir,
Petit, noir et clair, un paquebot qui entre.
Il vient là-bas très loin, bien net, classique à sa manière.
Dans l’air lointain il laisse derrière lui l’ourlet vain de sa fumée.
Il vient, il entre, et le matin avec lui, et sur le fleuve,
De-ci, de-là se réveille al vie maritime,
Se dressent les voiles, s’avancent les remorqueurs,
Surgissent de petits bateaux de derrière les navires qui sont dans le port.
Il fait une vague brise.
Mais mon âme à moi se tient avec ce que je vois le moins,
Avec le paquebot qui entre,
Car lui se tient avec la Distance, avec le Matin,
Avec le sens maritime de cette heure,
Avec la douceur douloureuse qui monte en, moi comme nausée,
Comme début de mal de mer, mais dans l’esprit.

Je regarde de loin le paquebot, dans une grande indépendance d’âme,
Et au fond de moi une roue comme à tourner, lentement.

Pessoa, poète aux identités écrivit des poésies bucoliques, signées Alberto Caeiro, réunies sous le titre Le Gardeur de Troupeaux. À ce poète sensualiste et chaste s'oppose un Pessoa au regard obscène, Alvaro de Campos, le plus prolixe de ses hétéronymes. Ce recueil, qui rassemble tout l'œuvre de Caeiro ainsi qu'un choix de poésies de de Campos, révèle la multiplicité d'un des plus grands poètes de langue portugaise, entre métaphysique, ironie et sensualité.