UN TRIOMPHE, Emmanuel Courcol 2020, Kad Merad, Marina Hands, Pierre Lottin, Laurent Stocker (societe)@@@
Étienne, un acteur passé son apogée donne des cours d'art dramatique en prison; le talent des détenus surprend Étienne; il tente de mettre en scène une production de "En attendant Godot" de Samuel Beckett, qui représente l'état d'attente constant des prisonniers.
TELERAMA
Un acteur désœuvré monte un atelier théâtre avec des prisonniers. Et rêve bientôt d’une vraie tournée. Une comédie sociale élégante, et réconfortante.
Étienne, un acteur qui n’est plus monté sur scène depuis longtemps, accepte, faute de mieux, d’animer un atelier théâtre en prison. Après une prise de contact un peu rude avec ses « élèves », il commence à deviner un réel potentiel dramatique chez ce petit groupe de prisonniers, auxquels, jusque-là, on n’a proposé que d’apprendre des fables de La Fontaine. Que font ces taulards toute la journée ? Ils attendent. La fin de la journée, le lendemain, le parloir, la fin de leur peine, ils ne cessent d’attendre… Réalisant que leur existence carcérale les rend familiers de l’absurde, Étienne décide de les mettre en scène dans En attendant Godot, de Samuel Beckett : un pari fou, mais, petit à petit, Patrick, Moussa, Kamel, Dylan et Alex se prennent au jeu, et voilà que le comédien animateur brave le règlement pénitentiaire pour les mener sur la scène d’un vrai théâtre…
Après Le Grand Bain, de Gilles Lellouche, il y a trois ans, ce Triomphe prouve, à son tour, que le cinéma français maîtrise, lui aussi, l’art, traditionnellement anglo-saxon, du « feel good movie », ce genre de comédie réconfortante, savamment dosée entre humour et émotion, où la lumière doit poindre au bout d’un sombre tunnel social ou personnel.
Le réel a fourni un sujet en or à Emmanuel Courcol : l’histoire vraie de Jan Jönson, un acteur suédois qui, en 1985, monta le chef-d’œuvre du célèbre dramaturge irlandais avec les détenus d’une prison de haute sécurité, et les mena en tournée. Samuel Beckett lui-même, encore vivant, jugea alors l’issue de l’aventure tout à fait accordée à sa pièce…
Sans jamais tomber dans l’angélisme, le réalisateur adopte un point de vue résolument humaniste : comme Étienne, qui ne veut voir dans ces détenus que des acteurs prometteurs, on ne saura jamais les crimes qui les ont conduits derrière les barreaux. Seuls comptent leurs efforts sur un texte ardu, leur indiscipline, leur remuante solidarité de troupe, leur fierté neuve, et enivrante, de se produire devant un public. Et, bien sûr, l’obstination de l’apprenti metteur en scène, qui lui aussi retrouve, grâce à ce défi théâtral, son estime de soi et un chemin vers les planches.
Kad Merad dans un de ses meilleures rôles
La réalisation, discrète et élégante, alterne entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, entre frictions incessantes et tendresse comique, et certaines séquences touchent par leur intensité ou leur lyrisme : quand Dylan, le petit nerveux analphabète, réussit, enfin, à réciter d’une traite la longue tirade folle et sans ponctuation de Lucky, l’esclave presque muet de la pièce. Ou lorsque les détenus crient leurs répliques des fenêtres de leurs cellules, faisant résonner les mots de leurs personnages dans le silence de la nuit carcérale…
Entre acharnement et mélancolie, Kad Merad (Étienne) livre sa meilleure composition depuis la série Baron noir . Face à lui, David Ayala, Wabinlé Nabié, Pierre Lottin ou Sofian Khammes, l’acteur qui monte, sont tous enthousiasmants, d’autant que la vedette les laisse briller, attentive, fidèle à son rôle de chef de troupe.