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LES PIRES, Lise Akoka et Romane Guéret 2022, Mallory Wanecque, Loic Pech, Timéo Mahaut (social)@@@

Alors qu'un tournage se prépare dans une banlieue défavorisée de Boulogne-sur-Mer, un casting est organisé afin de choisir les acteurs appelés à interpréter les différents personnages. Après les essais, la stupeur s'empare des habitants du quartier. En effet, quatre des adolescents retenus sont considérés comme de mauvaises graines, et les interrogations se multiplient dans la cité quant aux raisons qui ont poussé les casteurs à faire ce choix surprenant. Lily, Maylis, Jessy et Ryan, qui constituent l'inattendu quatuor appelé à jouer les premiers rôles, n'en reviennent pas eux-mêmes...

TELERAMA
Le tournage d’un film social, où les acteurs sont des enfants malmenés par la vie. Une mise en abyme réussie.
On dirait que vous prenez que les pires… » Fine observatrice au visage impassible, Maylis (Mélina Vanderplancke) dit ça comme elle dit tout le reste, l’air de s’en foutre. Avec d’autres jeunes de la cité Picasso, à Boulogne-sur-Mer, l’adolescente participe à un casting d’acteurs non professionnels et note l’intérêt du réalisateur, un Belge chaleureux, pour les gamins cabossés, difficiles, les « cas sociaux ». Comme le petit Ryan (bouleversant Timéo Mahaut), genoux écorchés et grandes billes bleues, dont la tchatche ch’ti révèle, entre deux très gros mots, qu’il a vécu en famille d’accueil avant d’être placé chez sa sœur aînée. Une recrue idéale pour Gabriel (Johan Heldenbergh), le metteur en scène, qui entend raconter une histoire « pas facile facile », tournée en décors naturels avec des interprètes forcément criants de vérité.

Expertes du casting sauvage — c’était le sujet de leur remarquable court métrage Chasse royale (2016) —, Lise Akoka et Romane Gueret signent, avec ce premier long récompensé par le Grand Prix Un certain regard au dernier Festival de Cannes, une de ces mises en abyme qui passionnent les cinéastes. Sorte de « Nuit américaine des cassos », pour faire référence au classique de François Truffaut (1973), Les Pires chronique, à la manière d’une comédie dramatique sociale plutôt ensoleillée, le tournage d’un drame social franchement sombre. Moins pour sonder les affres d’un créateur (Huit et demi, de Federico Fellini) ou rire de catastrophes en série sur un plateau (Ça tourne à Manhattan, de Tom DiCillo) que pour interroger la pratique même de filmer, et la responsabilité qui en découle.

Ce questionnement, les autrices le prennent en charge notamment par le regard à la fois empathique et sans complaisance qu’elles posent sur leur homologue fictif, Gabriel. Qui aime ses acteurs en herbe mais tient plus encore, à 54 ans, à réussir son premier film, quitte à manipuler son monde — ainsi lorsqu’il exige de Ryan « une vraie rage » et accule le petit garçon à une éprouvante crise de nerfs. Concernant les clichés, la cinégénie de la misère — « Magnifique », s’emballe le réalisateur devant la façade lépreuse d’une barre de cité — ou la traque de l’émotion chez des amateurs, a fortiori des enfants, dépourvus de technique, le miroir tendu au septième art semble impitoyable.

Pourtant, loin de se limiter à cette peinture assez cruelle, Les Pires saisit aussi le meilleur de l’aventure : la beauté de ces gamins soudain considérés comme des héros, sachant que les parcours des interprètes et des personnages se recoupent parfois ; l’éclosion du talent de Lily (Mallory Wanecque) ; la joie de fabriquer une œuvre collective. La fierté de Ryan, enfin, qui assurait ne jamais pleurer (« Parce que j’ai jamais mal ») et dont les larmes « jouées » paraissent témoigner d’une réparation par l’entremise de la fiction. Le vertige du cinéma, entre effraction et catharsis, dans toute sa splendeur.