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OUISTREHAM, Emmanuel Carrère 2021, Juliette Binoche, Hélène Lambert (societe)@@@

Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s'installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l'invisibilité sociale, elle découvre aussi l'entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l'ombre.

TELERAMA
Vivre la vie d’une femme de ménage, quelques mois, telle fut l’expérience de Florence Aubenas, relatée dans son livre Le Quai de Ouistreham, en 2010. Qu’Emmanuel Carrère signe l’adaptation ajoute une dimension à la fois troublante et évidente. D’une part, il a écrit autrefois le récit d’une longue imposture — L’Adversaire, en 2000, sur l’affaire Jean-Claude Romand. D’autre part, il a réfléchi à la possibi­lité de se mettre à la place de ceux qui souffrent le plus dans D’autres vies que la mienne (2009).

Immense Juliette Binoche
Dès que Marianne (la Aubenas de la fiction) se retrouve intégrée à une brigade de nettoyage de ferries trans-Manche, le cinéaste fait entrer en résonance une multitude de détails con­crets (du vocabulaire de ­l’encadrement à la saleté nauséabonde des lieux à nettoyer, en passant par les douleurs physiques causées par le travail) qui disent crûment l’exploitation, l’humiliation, la relégation. Ce monde d’aubes glacées, de trajets épuisants, est d’autant plus vrai que s’y expriment, par ailleurs, une solidarité, une entraide. Les collègues de Marianne finissent par s’attacher à cette femme plus âgée qu’elles, sans liens ni perspectives.

La simulatrice, qui ambitionne de rendre visibles les invisibles du ferry, est aussi une traîtresse en puissance : elle trompe la confiance de ses nouvelles amies. Cette contradiction et l’hypothèse d’être démasquée font l’objet d’un suspense au fur et à mesure que Marianne s’identifie à son « personnage » : on ­devient qui on imite. Au livre d’origine, le film superpose enfin une « couche » supplémentaire de jeu, le travail d’une grande actrice. Dans l’épure totale, entourée de non-profes­sionnels remarquables, Juliette Bionche trouve là l’un de ses rôles les plus marquants.