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OPPENHEIMER, Christopher Nolan 2023, Cillian Murphy, Emily Blunt (histoire guerre)@@@

En 1942, convaincus que l'Allemagne nazie est en train de développer une arme nucléaire, les États-Unis initient, dans le plus grand secret, le Projet Manhattan destiné à mettre au point la première bombe atomique de l'histoire. Pour piloter ce dispositif, le gouvernement engage J.

TELERAMA
Retraçant la palpitante trajectoire du père de la bombe atomique, le maître des blockbusters réussit un biopic aussi subtil qu’incarné. “Oppenheimer” a raflé sept récompenses aux Oscars 2024.
Christopher Nolan est un réalisateur brillant mais qui divise. Il a ses détracteurs, qui n’apprécient guère son excès de sophistication et sa froideur conceptuelle. Nolan les aurait-il entendus ? Oppenheimer est son film le plus attachant et le plus simple, formellement au moins, sur ce cas pourtant complexe de Robert Oppenheimer, surnommé le « père de la bombe atomique ». Voici un biopic empathique, sans être hagiographique, qui s’inspire d’une biographie parue en 2005, signée Kai Bird et Martin J. Sherwin. À la différence du légendaire Einstein (qui apparaît ici de manière savoureuse), le rôle majeur et l’implication directe d’Oppenheimer dans la Seconde Guerre mondiale, à travers le bombardement de Hiroshima et de Nagasaki, font de lui une figure mythique de tragédie, glorieuse et maudite.

Tout le désigne au départ comme un scientifique doué doublé d’un érudit, juif éclairé et bienfaisant, qui traverse l’Europe dans sa jeunesse, étudie à Cambridge. Digne d’une aventure romanesque est le premier tiers du film, qui fait découvrir le sympathisant du parti communiste dans les années 1930, l’amateur d’art, le polyglotte connaissant le sanskrit et capable d’apprendre le néerlandais en un semestre, l’amoureux transi d’une brune sagace et torride. L’homme, à l’allure de privé avec son chapeau, a bien quelques faiblesses, que le réalisateur glisse finement — sa gaucherie dans les travaux pratiques en labo, une forme de passivité tourmentée qui le confine à s’enfermer dans une position de martyr. Malgré tout, il fait tôt partie de l’élite scientifique. Et en 1941, une opportunité se présente, dans l’urgence. Une course contre la montre est alors engagée avec l’Allemagne dans la fabrication de la bombe atomique. Pour y parvenir, un colonel de l’armée américaine (Matt Damon) lui propose de diriger le « projet Manhattan ». Par patriotisme et conviction antinazie, Oppenheimer accepte et monte une équipe qui réunit le fleuron de la physique internationale.

C’est en plein désert du Nouveau-Mexique que se concrétise le projet, dans le cadre d’une base secrète. Cette partie du film ne manque pas de piquant, tant ce site surréel tient du western — « Il ne manque plus que le saloon », fait remarquer l’épouse du physicien. Là sera pourtant produite la première bombe atomique, dans des circonstances qui semblent rétrospectivement assez aléatoires — rien ne dit, lors de l’essai Trinity, que la planète ne va pas y passer. Oppenheimer est déjà conscient que sa création révolutionnaire peut le dépasser.

La force indéniable du portrait composé par Nolan tient dans sa dualité : il montre son personnage comme un génie du bien et du mal. Un sauveur et un destructeur, en proie à des dilemmes moraux. Un monstre d’orgueil et d’égoïsme, mais conscient de l’être et qui se sent coupable. Après une conférence qu’il donne, où il est fêté en héros national, il descend des marches et semble agrippé par un cadavre noirci de cendres. Brève séquence magnifique de hantise.

Le cauchemar est aussi celui que le scientifique vit lors de la commission d’enquête diligentée par le FBI, en 1954, période hargneuse de maccarthysme. Il est accusé d’avoir été un espion de l’URSS, interrogé et harcelé, on met en question son intégrité. Sur la violence des dirigeants américains, capables d’honorer l’intelligence avant de l’écraser, le film est cinglant. Le suspect émacié et maigre — Cillian Murphy, formidable en visionnaire aux pieds d’argile — encaisse. Lors de l’entrevue avec Harry S. Truman dans son bureau présidentiel, Oppenheimer fait part de son inquiétude quant à l’escalade de la course aux armements avec les Soviétiques. Une fois sorti, il entend le chef d’État lancer : « Je ne veux plus revoir ce pleurnichard. » Des « pleurnichards » comme Oppenheimer, l’humanité en a pourtant besoin.