LES CYCLADES, Marc Fitoussi 2022, Laure Calamy, Olivia Cote, Kristin Scott Thomas (societe)@@@
Adolescentes, Blandine et Magalie étaient inséparables. Les années ont passé et elles se sont perdues de vue. Alors que leurs chemins se croisent de nouveau, elles décident de faire ensemble le voyage dont elles ont toujours rêvé. Direction la Grèce, son soleil, ses îles mais aussi ses galères car les deux anciennes meilleures amies ont désormais une approche très différente des vacances et de la vie.
TELERAMA
Dans les îles grecques, les retrouvailles de deux amies aux choix de vie radicalement opposés, l’une frénétiquement hédoniste, l’autre déprimée et rigide. Un duo aussi désaccordé que savoureux, des actrices enthousiasmantes.
Si les voyages forment la jeunesse, que font-ils aux adultes à l’heure des premiers bilans ? Quand Blandine et Magalie se retrouvent à l’aéroport, elles ne savent guère à quoi s’attendre. Et la part d’inconnu tient moins à leur destination qu’à leur relation. Adolescentes, il y a longtemps, elle s’adoraient et rêvaient de se rendre ensemble à Amorgos, l’île grecque mise en lumière par le film Le Grand Bleu, de Luc Besson, dont elles étaient folles… Puis elles se sont perdues de vue, banalement, et les décennies ont défilé. Leurs retrouvailles tardives ne tiennent qu’à une ruse du fils de Blandine : inquiet de voir sa mère en dépression, il a retrouvé sa meilleure amie d’antan, et organisé comme une thérapie leur escapade vers les Cyclades.
La comédie de caractère, genre antédiluvien, reprend des couleurs avec ce duo mal accordé, drôlement dissonant. Plus encore que les aléas cocasses du voyage, la personnalité des deux femmes structure le récit. Magalie est exubérante, spectaculaire, intarissable, inépuisable. Blandine est prudente, rigide, sombre, lasse. L’écriture précise et fine de Marc Fitoussi révèle selon un rythme imprévisible les complexités cachées derrière de telles apparences. Blandine, qui travaille dans le secteur médical, a été brisée par le départ de son époux et le remariage de ce dernier avec une jeune femme. Magalie est déterminée à profiter pleinement de la vie à chaque instant, avec ou sans emploi (elle se veut critique musicale, experte en disco), avec ou sans partenaire régulier.
L’auteur-réalisateur avait déjà raconté des histoires dominées par une héroïne captivante, jouée par Isabelle Huppert (Copacabana, La Ritournelle) ou Sandrine Kiberlain (Pauline détective). Il a ensuite illustré la même adresse en réalisant des épisodes de la populaire série Dix pour cent. Aujourd’hui, le tandem l’inspire, qui prête aux reparties cinglantes. Et il est savoureux de retrouver, face à face, les deux actrices enthousiasmantes d’Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, distribuées tout autrement. Laure Calamy (Magalie) et Olivia Côte (Blandine) étaient antagonistes dans ce film-là, la première douloureusement accro à un homme indisponible, la seconde mariée au même. Cette fois-ci, les souvenirs de jeunesse tissent entre elles un lien résistant, et la blessure amoureuse est passée de l’une à l’autre.
Avec l’apparition d’une trosième femme, plus âgée (Kristin Scott Thomas, déchaînée en hippie chic établie sur l’île de Mykonos), la fantaisie grinçante prend des nuances plus sombres. L’horizon de la maladie et de l’affaiblissement du corps apporte un contrepoint à l’abstinence prolongée de Blandine et à la frénésie sexuelle de Magalie. Cette figure d’aînée parvient ainsi à s’intégrer à un film qui manque, par ailleurs, d’une forme aussi gracieuse que La Ritournelle ou Pauline détective : comme souvent avec les lieux très touristiques, la photogénie des îles grecques n’est pas en soi une garantie de style. Mais Marc Fitoussi réussit à tenir le cap de la profondeur psychologique. La vitalité de Magalie laisse peu à peu entrevoir une spirale de l’échec, une impossibilité à construire, tandis que Blandine, même éteinte, redécouvre en elle des ressources d’affection… De quoi préparer un épilogue digne des plus charmantes comédies humanistes, où l’allégresse côtoie une émotion inattendue.