Henry MILLER - Tropique du Cancer (autobiographie) (1934)
Le premier et le plus connu des ouvrages de Henry Miller (1891-1980), Tropique du Cancer, parut à Paris en 1934, grâce à l'aide de la femme de lettres américaine Anaïs Nin. L'auteur avait quarante ans, était marié et père de famille. Il aurait pu appartenir à la génération littéraire de Dos Passos et de Steinbeck si le contenu sexuel du livre n'avait pas différé jusqu'en 1961 sa publication aux États-Unis.
Ce récit personnel retrace avec intensité la vie affective et intellectuelle d'un Américain à Paris. Vu comme une ville lumineuse et sordide, Paris pousse dans son corps comme un cancer et grandit jusqu'à ce qu'elle l'ait dévoré. Cette ville tentaculaire, en rien rassurante, est un berceau de « naissances artificielles », où l'auteur retrouve le reflet de son visage dans les rues aux pavés inégaux, sur les murs constellés d'affiches, et où il lui faut s'affaler sur un banc, le ventre creux. Son désir : « Me promener dans le jardin des Tuileries et bander en regardant les statues muettes. Ou bien errer le long de la Seine, la nuit, errer sans fin, devenir fou de sa beauté. » En infatigable marcheur à l'oreille éveillée, aux narines ouvertes aux relents de choux et de pissotière comme au parfum des fraises sur le marché. Les monuments, les maisons, les parcs ne sont qu'un épiderme urbain surpris en flagrant délit d'osmose.
L'écriture se veut projection de la vie et des rythmes biologiques. Miller abolit toute hiérarchie entre le sexe et l'esprit, les viscères et les sentiments. L'érotisme ouvre à l'amour. La description explicite des rapports sexuels est portée par la conviction que « l'inertie est plus obscène que toute autre chose » : « Ayons un monde d'hommes et de femmes avec des dynamos entre les jambes. » Cette fiction autolibératrice, qui jette « un crachat au visage de l'art », a joui, non sans raisons, d'une réputation sulfureuse, car Tropique du Cancer est aussi un texte de littérature érotique.